L’ère du storytelling digital pour la communication des maisons de luxe

C’est déjà le quatrième épisode de la saison 3 du Curious Live, l’émission créée par les étudiant·es du Master MASCI, sur le thème cette année de l’évolution de la communication dans l’histoire. Cette fois-ci, Edith est accompagnée de Enolla et Elodie pour vous parler de l’ère du storytelling digital pour la communication des maisons de luxe. À cette occasion, les étudiantes ont eu l’opportunité de s’entretenir avec Selvane Mohandas du Ménil, directeur général de l’association internationale des grands magasins. 

Qu’est-ce que le luxe ?

D’après le dictionnaire Le Petit Robert, le luxe est le caractère coûteux, somptueux d’un bien ou d’un service. Le luxe n’a pas d’usage pratique mais prioritairement symbolique. 

 

Cependant, on ne peut pas dire qu’il existe réellement à ce jour de définition du luxe qui mette tout le monde d’accord. Ce que nous pouvons néanmoins dire c’est que la perception du luxe est relative, culturelle et fluide. Il est toutefois communément admis que la rareté et la sélectivité sont les valeurs structurantes du luxe. 

 

Pour cultiver ces valeurs de rareté et de sélectivité, les produits de luxe sont associés à des produits de haute qualité, pas donnés mais qui sont sources d’une expérience unique de consommation qui sont symboles de prestige social. 

La naissance des maisons de luxe en France

Nous retrouvons son apparition au Moyen Age, avec l’arrivée de “la discrimination à l’usage” où seules certaines catégories de personnes avaient le droit d’utiliser certaines matières premières. Le 19e siècle voit la naissance des premières grandes marques de luxe françaises et du monde d’ailleurs. On retrouve Louis Vuitton ou encore Thierry Hermès, qui développent des produits signés sous leurs noms. Avec l’arrivée des chemins de fer et de la mondialisation qui en découle, le luxe s’internationalise et devient un mode de vie de plus en plus désiré. 

1908, L’ouverture de la première boutique Louis Vuitton à Lille au 34 rue Faidherbe. Crédit photo : bagagecollection.com

 

Les premières maisons de luxe ont donc vu le jour au 19e siècle. Elles portaient traditionnellement en elles un nom connu depuis plusieurs générations, un attachement à un lieu emblématique, une histoire ancienne d’au moins quelques décennies. Les maisons de luxe se portaient garantes d’un savoir-faire unique, transmis d’année en année avec le plus grand soin et s’attachent à communiquer sur cette histoire avec soin en perpétuant valeurs et traditions.

L’arrivée de la communication et du storytelling dans l’univers du luxe

Ainsi dans le luxe, la part d’immatériel est immense et l’univers créé est primordial. En effet, une marque de luxe est une marque familiale, dont l’origine prend racine dans son histoire. Son créateur a su, à un moment propice, conjuguer son savoir-faire, sa passion et ses ambitions pour donner naissance à un véritable art de vivre partagé par des passionné·es.

Et si jusqu’alors, cet univers clos était isolé du reste du monde, qui ne servaient que les client·e·royaux ou les bourgeois·es fortuné·es, les années 80 vont complètement bouleverser le monde du luxe et lui faire prendre une nouvelle dimension. Les petites boutiques familiales et leurs ateliers artisanaux voient alors apparaître une forme d’organisation nouvelle avec l’apparition des Groupes de Luxe, basés sur une logique plus financière et industrielle.

Cependant il n’a jamais été question pour les maisons de luxe de perdre leurs essences. Si autrefois la réputation d’une maison était portée par son couturier, et le bouche à oreille d’un cercle clos, elles vont commencer à s’appuyer sur la maison elle-même et développer  une véritable image de marque. En effet, selon Jean-Louis Dumas, PDG d’ Hermès de 1978 à 2006 : « Le luxe c’est créer un rêve qui perdure ».  Ainsi, la créativité, le savoir-faire, le prestige des produits, l’excellence de service, les fondateurs mythiques et les créateurs excentriques incarnent autant d’histoires pour les marques de luxe qui constituent leurs patrimoines historiques. On voit alors apparaître une véritable communication basée sur le storytelling dans le luxe. 

Qu’est-ce que le storytelling ?

Le storytelling signifie littéralement le fait de raconter une histoire dans le but de communiquer. Plutôt que de promouvoir un produit, le storytelling dans le secteur du luxe utilise un récit pour narrer la philosophie et les valeurs d’une marque. Dans ce type de contenu, le produit est rarement mis au centre de la trame narrative. S’il est présent, son importance sera moindre, intégré dans un tout, dans un univers symboliquement fort, celui du patrimoine de la marque.  Ce secteur particulier obéit à des règles précises et différentes des autres marchés comme la grande distribution.

 

On ne vend pas seulement un produit, mais on vend également une maison de luxe et un savoir-faire. On vend une histoire liée à celle du consommateur, ce qui fera naître en lui un besoin irrévérent de posséder le produit à des fins statutaires. Le storytelling est un outil ultra pertinent quand on parle de luxe, et surtout de mode. 

 

Le storytelling dans le monde du luxe prend des formes variées et diverses : des magasins eux-mêmes, aux sponsorings en passant par les défilés de fashion week ou de l’utilisation des ambassadeur·rice·s, les marques dans le début du siècle ne manquent pas d’idées. 

 

En effet, les magasins sont conçus pour donner des éléments de la marque. Ils sont pensés comme des éléments à part entière de l’histoire de la marque, et sont créés à son image. Ils ne sont ainsi pas que des points de vente pour les marques, mais une véritable expérience pour la·le consommateur·rice.

 

Le sponsoring et la création de rôle d’ambassadeur·rice de la marque pour des célébrités explosent au cours de ces années. Des actions de communications qui permettent de transmettre et affichent les valeurs et l’histoire de la marque à travers des événements ou des célébrités qui représentent la marque. La marque s’incarne alors au travers de ces actions mais avec toujours le même objectif : Raconter qui elle est. Des marques comme Ralph Lauren deviennent sponsor de nombreux événement sportif en accord avec les valeurs et l’identité de la marque : le polo. Et des marques comme LV ou Gucci ne cessent d’agrandir leurs nombres d’ambassadeur·rice·s, avec très récemment BTS pour LV ou Harry Styles pour Gucci, qui deviennent de véritables représentant·e·s de la marque dans leurs pays associant leurs valeurs communes. La marque vit alors à travers les ambassadeur·rice·s, qui racontent et transmettent l’histoire de la marque à travers sa propre histoire, et ces actions collaboratives. 

L’expérience client ébranlée à l’ère du storytelling digital

L’expérience client est au cœur de la stratégie marketing des marques de luxe, ceci au travers d’un storytelling narrant l’histoire de la marque, ses valeurs et son univers. Mais, elles ont toutes quatres valeurs communes et essentielles : l’authenticité, l’exception, l’élégance et la rareté. C’est d’ailleurs cette dernière qui va être mise particulièrement à mal dans les années 2000 lors de l’émergence d’internet. Pendant longtemps les Maisons de Luxe vont être réticentes à la digitalisation par peur de perdre la base de leur identité qui repose sur la difficulté d’accès. 

Cependant, c’est aussi à ce moment-là que que le luxe digital 1.0 fait son apparition avec un modèle de diffusion top-down, c’est-à-dire une communication à sens unique des marques vers leur client. Ceci se matérialisant par la mise en place de catalogue en ligne donnant une accessibilité plus simple et plus rapide à l’information. L’utilisateur·rice était alors passif car il était très peu sollicité. 

Par la suite est arrivé le luxe digital statique, soit l’arrivée du e-commerce et de la vente en ligne, 15% des marques de luxe proposaient la vente en ligne. Un pourcentage moindre car une grande crainte des marques était de perdre la spontanéité de l’achat, ceci pour plusieurs raisons. La première étant la superficialité de l’achat par l’absence de l’expérience client présente dans les points de vente, un atout différenciant majeur des marques de luxe. La deuxième raison étant l’exposition des prix aux internautes, leur donnant une opportunité de les comparer au sein de leur environnement concurrentiel. Cependant, aux prémisses de la vente en ligne, les client·e·s des marques de luxe ont toujours une préférence pour l’expérience en boutique.

C’est en 2007, à l’ère des réseaux sociaux que ce modèle évolue vers le luxe digital interactif. Ce modèle intègre l’utilisateur au cœur de sa stratégie, on passe d’un·e utilisateur·rice passif·ve à un·e utilisateur·rice participant activement à la communauté de la marque. Les réseaux sociaux commencent à être exploités mais restent peu efficaces car leur côté humain n’a pas été encore assez appréhendé.

Depuis 2013, le luxe digital interactif à évolué vers le luxe digital expérientiel qui utilise le marketing en ligne pour améliorer la stratégie de vente des marques. Ce modèle a pour but de créer une expérience de luxe unique et mémorable en ligne et hors-ligne grâce à la personnalisation et l’omnicanalité sur lesquels nous reviendrons plus tard. 

Entre communication traditionnelle et digitale, ces dernières années ont amené les marques de luxe à mélanger création et savoir-faire avec innovation et digital. Cependant, cette évolution au travers du digital a mené le secteur de la mode à une saturation des marques qui copient le storytelling des Maisons de Luxe. Ce qui était un élément stratégique essentiel et différenciant doit être réinventé afin que les Maisons de Luxe puissent continuer à exister et à se différencier du reste des marques.

"C’est pas parce que vous me voyez partout que je suis pas exclusif. Bien au contraire. Une des règles de base c’est d’affirmer votre pouvoir en étant présent là où tout le monde va. Le paradoxe du luxe, la désirabilité repose sur le fait que tout le monde peut identifier le produit."
Selvane Mohandas du Ménil
Directeur général de l’association internationale des grands magasins

Du storytelling au storyproving : tous les moyens sont bons pour se démarquer !

L’arrivée de la digitalisation dans l’univers du luxe n’a fait qu’exacerber l’utilisation du storytelling dans les communications. « Voici venir l’ère où l’on aura besoin de narration. Plus que jamais », écrivait la romancière et rédactrice de mode Sophie Fontanel sur le site du Nouvel Obs, en 2020. Cette opinion, beaucoup de marques et de directeurs créatifs la partagent, ou en tout cas ce que laissent transparaître leurs posts sur les réseaux sociaux et leurs présentations au sein de Fashion Weeks virtuelles qu’on a pu expérimenter lors du covid.

Pour ce faire, beaucoup de marques de luxe mise sur le « owned media », c’est-à-dire les canaux de distribution que la marque contrôle : un site internet, des comptes sur les réseaux sociaux, une application, ou encore une newsletter. Le storytelling prend alors une nouvelle forme dans l’univers du luxe, passant du storytelling au ‘storyproving’, traduit comme l’histoire prouvée. En effet l’histoire ne peut plus être apposée sur le produit. Elle doit être intrinsèque au produit et à la vie de l’entreprise. Les consommateur·rice·veulent de la transparence, il ne suffit plus de raconter mais de démontrer, de prouver. Et pour ce faire, les marques de luxe sont des plus inventives.

De nombreuses communications ont ainsi pu être mise en place, avec l’apparition de podcast comme “Confidences particulières” du groupe LVMH qui vise à mettre en lumière l’excellence artisanale des maisons du groupe, ou des documentaires telles que la série de documentaires d’Hermès, disponibles sur YouTube, qui met en lumière l’étendue du savoir-faire artisanal d’Hermès. La maison de couture a confié la caméra à un journaliste qui part à la rencontre des hommes et des femmes qui conçoivent ses produits d’exception. On peut ainsi y voir beaucoup de blouses blanches, de mains, des gestes sûrs et appliqués nous permettant de découvrir la face humaine de la marque, avec son lot de personnalités et d’anecdotes. Plus que des documentaires, beaucoup de marques ce sont également mis à la sortie de vidéo « behind the scene » sur les réseaux sociaux où elles n’hésitent plus à montrer les coulisses de leurs maisons, de la fabrication des vêtements, de leur savoir-faire, à l’organisation des défilés de la fashion week !

« Confidences Particulières », le podcast du groupe LVMH. Crédit image : https://www.lvmh.fr/actualites-documents/actualites/confidences-particulieres-decouvrez-coulisses-de-savoir-faire-dexception-a-partir-17-septembre/

Certaines marques portent le storytelling encore plus loin. C’est le cas de Chanel qui, sur son site, raconte en vidéo, au gré de chapitres, où l’histoire confine au savoir-faire. On y retrouve par exemple : la veste, le Numéro 5… mais également des chapitres faisant davantage écho à l’emblématique fondatrice de la maison et ses valeurs comme “Gabrielle ou la liberté” ou “Deauville”. Les films associés mêlent images d’archives à de plus récentes afin d’offrir un storytelling intemporel. L’histoire de Chanel est également racontée chronologiquement, mais de façon bien plus condensée, sous forme de timeline agrémentée de photos.

Des contenus digitaux innovants

Le principe de sélectivité dans le luxe doit être maintenu à tous les points de contact avec la·le client·e. Le digital, canal accessible à tous·tes et à tout moment a longtemps été perçu comme contradictoire et antinomique avec les valeurs du luxe fondées sur la sélectivité et la rareté. Au cours de ces vingt dernières années, la révolution numérique et la diffusion des réseaux sociaux ont rendu inévitable le développement d’une présence en ligne pour les marques de luxe. Étant donné qu’Internet est fondé sur des principes de profusion et d’accessibilité, les marques de luxe ont certaines difficultés à combiner les principes de sélectivité avec le principe d’Internet. À titre illustratif, il a été reproché au luxe de proposer (à défaut d’un service client personnalisé) un service commun à tous les utilisateur·rice·s, mettant à mal la valeur de sélectivité du luxe. 

En termes de marketing, les marques de luxe utilisent le brand content par la mise en scène de l’histoire de leur marque. La publication de contenu, appelée aujourd’hui « brand content », est un vecteur de communication incontournable pour mettre en avant la richesse, l’histoire et le savoir-faire des marques de luxe. Le brand content vient remplacer les contenus marketing qui mettaient plus en avant le produit et ses attributs au profit de contenus qui valorisent la marque et son savoir-faire. À titre d’exemple, depuis 2012, Chanel raconte son histoire en dévoilant, un à un, les douze court-métrages de la web-série « Inside Chanel », consacrée à sa fondatrice et à l’histoire de la maison de la rue Cambon. 

« Gabrielle ou la Liberté », le chapitre 20 de la web-série Inside Chanel. Crédit image : https://www.youtube.com/watch?v=tRDWLHhSgn0

Les maisons de luxe n’en finissent pas d’adapter leur communication et leur storytelling à l’ère du temps. Restons connecté·e·pour être les premier·ère·s à découvrir quelles idées et contenus innovants les maisons de luxe produiront dans le futur ! 

Meri Grigoryan, Enolla Hyvon-Sanz, Élodie Truchot et Edith Laville