Les streameur·euse·s français·e·s dans l’espace numérique

Depuis quelques années, la France observe la montée fulgurante d’un nouveau phénomène de l’ère digitale : le streaming sur Twitch. Allant de simples diffusions depuis une chambre jusqu’aux plus grands évènements, la plateforme ne cesse de gagner en popularité.

En dix ans, Twitch a révolutionné les usages numériques en offrant une nouvelle façon d’interagir avec les contenus en ligne. Le·la spectateur·rice n’est plus un·e consommateur·rice passif·ve, mais peut désormais interagir avec le·la créateur·ice, appelé·e streameur·euse, via une messagerie instantanée nommée chat (en anglais). La diffusion se fait alors en direct, grâce à une technologie encore récente au milieu des années 2000. Après l’arrivée du célèbre site d’hébergement Youtube en 2005, les choses s’accélèrent : les médias sociaux se multiplient et l’internet haut débit s’installe dans les foyers français. Un an plus tard, Justin.Tv, le premier site de streaming, voit le jour.

La naissance d’un monstre

Justin.Tv attire rapidement un public de niche mais dévoué : les gamers·euse·s. Suite au succès de sa section jeux vidéo, les équipes engagent un tournant majeur : Twitch.tv naît en 2011. Le site se veut 100% orienté gaming, et ça fonctionne. Différents investissements poussent la croissance rapide de la plateforme, qui vient s’affirmer comme numéro une du streaming grâce à son rachat par Amazon en 2014, pour 970 millions de dollars. À cette date, près d’un million de diffuseur·euse·s de contenus sont actif·ve·s.

Le site plaît de plus en plus et rassemble rapidement des millions de joueur·euse·s. À cette période, on parle de “hardcore gamers·euse·s”, des joueurs·euse·s performant·e·s qui souhaitent progresser et suivre des compétitions de jeux vidéo. L’expansion se poursuit en 2019, lorsque Twitch souhaite diversifier le contenu diffusé sur la plateforme en permettant tous les formats. On voit alors émerger des lives de réaction aux émissions TV, des émissions traitant de sujets d’actualités, et bien d’autres styles encore. Certaines personnalités venant des médias traditionnels, comme le présentateur de “Question pour un Champion” Samuel Etienne, s’approprient la plateforme et traitent l’information. Preuve que ce nouveau type de transmission fonctionne chez les jeunes, la proximité et l’authenticité dans les échanges lui permet de comptabiliser près de 600 000 abonné·es début 2024 :  “80% de mes viewers ont entre 18 et 35 ans” selon un sondage réalisé par le journaliste. En 2022, la tranche d’âge principale des utilisateur·rice·s Twitch est de 16-24 ans dans le monde selon Statista.com.

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Les nouvelles stars du web

Avec respectivement 18,6 et 15,7 millions d’abonné•es en 2023, Ninja et Auronplay, sont les deux premiers streameurs mondiaux, jouissant d’une puissance de frappe sans égal – diffusant parfois devant des millions de personnes en simultané. Le géant du Youtube français, Squeezie, connu depuis 2008 pour ses vidéos de divertissements et de gaming, est suivi par 4,8 millions de personnes sur Twitch cette année ; preuve supplémentaire du rayonnement grandissant de la plateforme au sein de l’hexagone.

Ces nouvelles stars créent alors un nouveau métier connu sous le nom de streameur·euse. Leur rémunération se base sur le nombre d’heures de diffusion : plus la plage de direct est étendue, plus le·la créateur·rice peut diffuser de publicités et percevoir un revenu, parfois conséquent. Ce montant varie en fonction du temps, des partenaires, du nombre d’abonné·e·s et des subs (un abonnement payant, 5€ par mois par streameur soutenu), qui possèdent un poids particulier dans leur rémunération (environ 70%).

Pour les streameur·euse·s français·e·s, difficile d’établir un bénéfice exact. Avec une moyenne d’environ 7 907 abonnements payants sur les 6 derniers mois, la société de Squeezie pourrait percevoir en moyenne 22 000 euros par mois, sans compter les publicités, selon une évaluation du site Gentside.

Repenser le divertissement

En 2020, alors que confinements et couvre-feux rythment la vie des Français·e·s, le site américain voit son trafic bondir de façon brutale. Poussé par le hashtag #Restezchezvous, Twitch recense 3,46 millions nouveaux·elles utilisateur·rice·s français·e·s entre janvier et mai rapporte Finbold. Des lives de cuisine aux vidéos de sport, sans oublier les compétitions de jeux vidéo, chacun·e peut trouver son bonheur et se sentir entouré·e face à la pandémie.

À l’ère post covid, les habitudes changent, les streameur·euse·s voient les choses en grand. L’envie de rencontrer leur communauté et de concrétiser leurs projets poussent ces influenceur·euse·s à organiser des événements dans la vraie vie, financés à l’aide de partenariats et réunissant des centaines de milliers de spectateur·rice·s.

L’événement ayant suscité le plus grand investissement est initié par le roi de l’internet français, Squeezie. Il organise en 2022 et 2023 le Grand Prix Explorer, une course de formule 4 réunissant des personnalités d’internet sur le célèbre circuit du Mans. Lors de la deuxième édition s’étant tenue en septembre 2023, plus de 60 000 spectateurs·rices sont sur place. En ligne, le record de l’évènement le plus visionné en France sur Twitch est battu, dépassant 1,3 million de viewer·euse·s. Durant la deuxième édition du GP Explorer, la moyenne était de 539.844 viewers tout au long des 13h de diffusion.

Côté caritatif, Le Z Event détient le record mondial du show ayant levé le plus d’argent sur Twitch, profitant de la notoriété de streameur·euse·s francophones afin de récolter des dons destinés à des associations. Soutenu par “ZeratoR” et “Dach” depuis 2016, la popularité de cette initiative ne fait que croître. En 2022, 50 heures de live ont permis la collecte de 10 182 126 euros, une somme colossale reversée à quatre associations : WWF France, LPO France, The SeaCleaners, et Sea Shepherd.

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Communauté et marginalisation

Twitch réussit à rassembler des millions de personnes dans le monde en quelques années et à changer les modes de consommation médiatique des Français.e.s. Ces événements marquent un tournant dans le monde de l’influence et des médias. Malgré les réussites, le réseau social, ou plutôt ses utilisateur·rice·s, sont encore critiquables. S’il a réussi à instaurer une réelle proximité entre créateur·rice.s de contenu et spectateur·rice·s, le point fort de l’application, le chat, peut vite se retourner contre les steamer·euse·s et virer au cauchemar : le harcèlement.

Le manque de modération reste l’un des fléaux principaux d’Internet. De nombreux·se·s vidéastes sont la cible de harcèlement en ligne. Malgré des tentatives de progrès initiées par la plateforme, les minorités restent très touchées par les vagues de haine. Devant un public toujours majoritairement masculin, les femmes sont souvent les premières visées, en témoignent les récentes frondes menées par Maghla, Nat’Ali, Manonolita et bien d’autres. Selon le rapport de transparence Twitch, les signalements/MHV pour comportement haineux et harcèlement, sont passés de 2,1 millions à 2,3 millions (+8,0 %) en 2021.

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LONDERO Léna et HUET Pauline