Le “Made in France”, lubie ou tournant social ?

Souvenez-vous de la marinière de Montebourg, en une du Parisien Magazine, il y a quelques semaines, un robot Moulinex à la main.
Son discours en bref : il faut acheter français ! Bayrou, avant lui, en avait fait l’un de ses arguments phares de sa dernière campagne présidentielle.
Le “Made in France” semble être à la mode depuis quelques mois.

Il y eut l’écologie. Tout le monde nous parlait de sauver la planète. Cette mode passa, bien que les phoques continuent à mourir.
Celle du “Made in France”, elle, passera aussi vite que les vélos des bobos se sont rangés dans leurs caves au profit du bon vieux métro et autres 4×4 polluants. Et tous leurs idéaux avec…

Je joue ici les oiseaux de mauvais augure en vous annonçant la mort prochaine de cette énième tendance, cependant, nous allons quand même prendre le temps de profiter de cette “ère” de patriotisme économique, si précaire soit-elle.

Tout d’abord, de quoi parle-t-on ?

Le “Made in France”, vous l’avez compris, c’est une forme de protectionnisme. Mais caché. Pourquoi caché ? Car, la politique économique de la France ne peut pas être protectionniste, de par son passé Gaulliste (celui du oui à l’ECU, pas du non à l’OTAN !) et de par son présent européen (celui de Schengen). Du coup, on s’en remet à la communication. Le but des politiques est de booster l’économie française par la consommation de produits français mais sans réelles mesures allant dans ce sens. On fait donc appel à la conscience du français moyen.

Moyen ? Pas tant que cela…

Ce dernier est très peu concerné par cette mode. En tout cas, pas dans un premier temps. La cible première, c’est le bobo (bourgeois/bohème, citadin, au capital économique et social élevé, foncièrement contre le “Système”, qu’il alimente néanmoins…).

Ces mêmes qui votent pour Bayrou : des citadins qui ont envie de nature et de campagne certes, mais qui vivent en ville.

Montebourg d’ailleurs ne s’y est pas trompé. En marinière, il affiche une connivence vestimentaire avec cette tranche de la population. Avec son robot dernier cri et sa montre au poignet, il s’adresse à des citadins au pouvoir d’achat élevé et aux valeurs durables qui avaient précédemment suivi la mode écolo et ses supermarchés bios florissants.

 

Pourquoi eux ? D’abord parce qu’ils ont une conscience durable. L’utopie “anti-système” d’une symbiose parfaite entre les sphères économique, écologique et sociale. Cette catégorie de la population porte en elle tous ces intérêts et représente donc le meilleur public pour donner une résonance à ce projet.

Ensuite, parce que ce sont de grands nostalgiques. Les modes s’inspirent du passé, le bobo aussi. La régression est devenue loi. Le vintage, si présent dans les quartiers les mieux famés du Marais, en est l’incarnation la plus assumée.

Entre passéisme et néostalgie, la jeunesse française se tourne vers le passé qu’elle n’a jamais connu mais qu’on lui a conté. Les Trente Glorieuses et Mai 68 étant dans le Top des époques idolâtrées. On parle ici de la jeunesse meurtrie par le sous-emploi et persécutée par un “Système” liberticide. Alors qu’est-ce qu’on fait ?

On revit les heures de gloires. Celle de l’Amérique super-puissante, que l’on adore détester ou que l’on déteste adorer et celle de la famille patriarcale traditionnelle qui nous rebute autant qu’elle nous rassure.

Vous ne me croyez pas ? Regardez cette pub réalisée pour Le slip français, une marque née de cette néostalgie que j’abordais à l’instant.

httpv://www.youtube.com/watch?v=KG8M02ECKyU

Et la Grande Amérique, vous la sentez, là ? Celle des James Dean, des diners et de la route 66. La même que ces bobos au grand cœur tournent en dérision quand elle est célébrée par un chanteur sur le retour (Johnny, Dick et Eddy par exemple).

 

Voilà comment s’organise le Made in France : par un retour aux anciens codes. Acheter français, c’est acheter le passé, c’est acheter une image, celle de la France qui va bien (enfin, pour ce qu’on s’en souvient). Le problème ne serait-il pas la dissonance temporelle entre innovation produit et communication à papa ?

Mais ce n’est pas la seule fausse note.

L’autre aberration de cette mode tient dans sa terminologie. “Made in France” !

Pourquoi cette anglicisme alors même que nous parlons d’acheter et de produire français ?

Justement peut-être parce que cette mode n’est pas plus française qu’un hamburger vendu en-dessous de la Tour Eiffel. On nous fait passer des désirs de mondialisation pour du patriotisme.

Évidemment la marinière est française, tout comme il est évident que celle que l’on trouve chez H&M est produite à Taïwan. Le problème de cette mode est qu’elle ne fera pas acheter français, elle capitalisera tout au plus sur le sentiment de repli sur soi déjà cristallisé par la crise et les frayeurs xénophobes que cette dernière provoque pour nous faire acheter du simili-français, du simili-terroir, du ici-fait-ailleurs. Et la reprise, par quelques “visionnaires” marques à bobos, de ce concept, n’en fait certainement pas un courant à proprement parlé, sinon peut-être un buzz un peu plus entretenu que les autres.

Mais que voulez-vous ? De l’anodine mise en valeur de ses produits régionaux à l’agression raciste, en passant par le vote nationaliste, l’instinct patriote semble être LA solution pour se protéger de nos propres angoisses, tout comme se cacher sous sa couette nous semblait LA solution pour combattre les monstres enfermés dans nos placards d’enfant, ces mêmes monstres prenant aujourd’hui l’apparence des Chinois ou des Musulmans.

Friedman, prix Nobel d’économie, déclarait dans une interview que la mondialisation apportait une forme de paix car elle favorisait l’échange des savoirs, des hommes, des techniques et des produits entre les peuples.

Il est en tout cas certain que n’importe quel produit, tout français soit-il, est aujourd’hui composé ou de matières premières ou d’inspirations ou de travail fourni par des étrangers.

C’est peut-être en cela que le, a priori mal défini, “Made in France” prend tout son sens. Cette mode est le résultat direct de son aberration terminologique : le mot définit exactement ce que ce concept est, mais certainement pas ce que l’on voulut qu’il soit.

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