Paris sportifs : L’incitation au jeu et la manipulation ont la cote

En essor depuis plusieurs années, les paris occupent aujourd’hui une place très importante dans le monde du sport. La communication des applications de paris sportifs, aussi appelées bookmakers, est autant adulée que décriée. Entre manipulation et incitation au jeu, voici ce qui se cache réellement derrière les stratégies de communication et de marketing des bookmakers.

Paris sportifs
Crédit photo : Pixabay

Historique des paris sportifs

Il faut savoir que les paris sportifs existent depuis la préhistoire : des hommes se battaient entre eux et d’autres pariaient sur l’homme qu’ils trouvaient le plus fort. La récompense n’était, à cette époque, évidemment pas monétaire. En France, c’est le jeu de paume (ancêtre du Tennis actuel) à Versailles qui mit les paris sportifs sur le devant de la scène. En 1527, François Ier officialise le professionnalisme sportif : cela permettra alors de transformer les gains des paris des joueurs (qui sont souvent l’objet du pari) en salaires, ceux-ci ayant ainsi le statut de salarié.

C’est donc la haute société qui permettra l’expansion du pari sportif sur le jeu de paume, les Rois qui suivirent permettront le développement de nouveaux sports (boxe, billard, cricket …) et dans le même temps le développement de nouveaux paris sportifs. En 1865, c’est l’apparition des hippodromes en France : Michel OLLER a l’idée de prendre les paris hippiques, de les rassembler et de prélever 5% pour « frais de gestion ». C’est le système de Bookmaking, les paris mutuels. Ceux-ci sont réglementés entre 1887 et 1891 et les « Paris Mutuels Urbains » finiront par apparaître en 1931, les célèbres PMU, qui se répandront partout en Europe.

Avec l’arrivée du Web, les paris sportifs deviennent virtuels : les paris en ligne rassemblent des millions de joueurs qui peuvent désormais parier tout le temps, sur toutes les compétitions et tous les sports. Ce n’est pourtant qu’en 2010 que la loi relative à l’ouverture à la concurrence des jeux en ligne est votée par le parlement : la porte de l’addiction s’ouvre alors. 

L'incitation au jeu sur les applications

Ce n’est plus un scoop, les réseaux sociaux cherchent à attirer notre attention le plus possible afin de nous attirer sur leur application et ainsi être exposé à leurs publicités (voir le documentaire Derrière nos écrans de fumée sur Netflix). Les bookmakers cherchent aussi à susciter l’intérêt des parieurs en leur envoyant une dizaine de notifications par jour. Mais leur motivation est toute autre. Leur but n’est pas d’exposer leurs utilisateurs aux publicités, mais de les attirer afin que ces derniers placent des paris. Pour être plus exact, les bookmakers vont chercher à attirer les parieurs pour s’enrichir à leurs dépens, et ce par différents moyens.

L’offre de bienvenue

Cela commence dès l’inscription sur le site, avec les offres de bienvenue, qui s’apparentent davantage à des cadeaux empoisonnés. Pour vous attirer chez eux, les bookmakers vous promettent de rembourser votre premier pari s’il est perdant, dans la limite de 100€, le plus souvent. Seul problème, la quasi-totalité des bookmakers remboursent effectivement le premier pari s’il est perdant, mais en paris gratuits. Les paris gratuits (ou free bets) ne peuvent pas être directement remis sur le compte en banque du joueur. Pour ce faire, il doit d’abord jouer cet argent, et en toute logique gagner ses paris.

En promettant donc de rembourser le premier pari s’il est perdant, les bookmakers incitent les joueurs à tenter des paris à forte cote (et donc faible probabilité), car le pari sera, dans tous les cas, remboursé. Mais un joueur non-averti risque au final de perdre ses 100€, par manque de vigilance. Il faut donc bien penser à lire les conditions générales, et se laisser uniquement tenter par les offres de bienvenue remboursées en cash. Car avec celles-ci, le joueur peut reverser l’argent remboursé directement sur son compte en banque, sans avoir à le rejouer avant.

Offre de bienvenue Unibet
Crédit photo : Unibet

Les cotes boostées

Véritable mine d’or pour certains parieurs, “pièges à cons” pour d’autres, les (super) cotes boostées rejoignent la panoplie de manipulation des bookmakers. Ce sont des promotions, dans lesquelles la cote d’un pari est fortement augmentée, la rendant ainsi beaucoup plus attractive. L’offre étant soit limitée dans le temps, soit limitée à un nombre de parieurs, cela va réduire la capacité d’analyse du joueur. Dans la précipitation et le manque de temps, il va se ruer sur l’offre, par peur de rater un bon coup. Mais ces cotes boostées sont souvent perdantes. En jouant sur la contrainte imposée par la limite de temps très courte, et le caractère attrayant de la promotion, les bookmakers vont donc attirer les parieurs vers un pari souvent perdant. De plus, ils disposent toujours d’une mise maximum (10, 20 ou 50€ selon les sites), ce qui peut également pousser les joueurs à mettre la mise maximale, tant l’offre est alléchante.

Cotes boostées
Crédit photo : Winamax

Les paris combinés

Les bookmakers incitent également au jeu et à la perte via les paris combinés. Un pari combiné est, comme son nom l’indique, une combinaison de paris simples. Pour que le pari combiné soit gagnant, il faut que chacune de ses sélections soit gagnante. Au fur et à mesure que le joueur augmente le nombre de paris dans son combiné, il augmente fortement sa cote, mais diminue tout autant sa probabilité de succès. Pour le conduire vers la perte, les bookmakers proposent un bonus en fonction du nombre de sélections de combinés. Ce qui rend le combiné d’autant plus attirant pour le parieur avide de grosses sommes. Ce bonus est une augmentation du gain du joueur, allant de 5 à 50% selon le nombre de paris dans le combiné.

Biais de conformité

Enfin, les trois plus gros bookmakers français (Betclic, Unibet et Winamax) soumettent leurs utilisateurs au biais de conformité (ou de conformisme), aussi appelé syndrome de Panurge. Ce biais cognitif va pousser un individu à suivre l’avis, le comportement du groupe majoritaire, pour se conformer aux autres. Et ce, même si l’individu est persuadé d’avoir raison. Ce biais de conformité est tout d’abord apparu chez Winamax, et consiste à afficher sous chaque pari la proportion de joueurs l’ayant choisi. De ce fait, si un parieur est persuadé que l’équipe A va gagner, mais voit que 96% des joueurs ont parié sur une victoire de l’équipe B, il sera influencé et sera sûrement tenté de choisir l’équipe B, pensant que les autres disposent d’informations que lui ignore.

En somme, les bookmakers savent pertinemment comment attirer les joueurs, mais surtout comment les faire perdre. Ce n’est clairement pas un hasard si environ 95% des joueurs sont perdants sur le long-terme. Pourtant, la communication des bookmakers met exclusivement l’argent facile et le gain en avant.

Une stratégie de communication entre argent, humour et jeunesse

Les sites de paris en ligne sont omniprésents dans le paysage de la communication et visent une cible de plus en plus jeune. La concurrence est rude et tous les coups sont bons pour se démarquer. En effet, on peut observer depuis quelques années une communication de plus en plus agressive et ciblée d’abord sur le digital. De plus en plus de ces sites utilisent les influenceurs afin de promouvoir leurs produits et ainsi développer leurs audiences.

De plus, les sites de paris sportifs ont beaucoup misé sur les réseaux sociaux depuis quelques années, notamment depuis la dernière Coupe du Monde de Football en 2018. Ces canaux sont en effet indispensables afin de toucher leur nouvelle cible favorite : les 18-24 ans. Ce sont en effet des utilisateurs hyperconnectés et très actifs sur les réseaux sociaux.

L’Autorité de régulation des jeux en ligne parle d’ailleurs d’une « nouvelle génération de consommateurs, avides d’émotions et de nouveautés, formés au jeu vidéo, décomplexés dans leur approche du jeu d’argent ». Pour l’attirer, les sites de paris en ligne redoublent d’efforts et de créativité dans leurs campagnes de communication.

Le ton est à l’humour et au contact direct avec leur public, allant parfois même jusqu’à la provocation. En 2019, Winamax était déjà allé trop loin avec un tweet comparant les relations entre un journaliste de L’Equipe, Hervé Penot, et Bruno Genesio, entraîneur de l’Olympique Lyonnais à l’époque avec une vidéo mettant en scène une voyante lisant l’avenir sur les parties génitales. Cela n’avait pas du tout plus au club qui avait déposé une plainte contre le site.

Un an plus tard, c’est encore Winamax, décidemment coutumier du fait, qui se laissa emporter après la victoire de l’OL et du PSG en ligue des champions. Le Community Manager du site avait en effet publié une photo sur Twitter affichant le logo des deux clubs, avec comme légende « On prend l’Europe, on l’encule à deux ». La toile s’est alors enflammée, qualifiant le tweet d’homophobe, allant jusqu’à faire réagir la Ministre des Sports, Roxana Maracineanu, mais également la Ministre déléguée chargée de la citoyenneté, Marlène Schiappa.

Si ces débordements ont bien failli coûter à Winamax le droit d’exercer, force est de constater que la plateforme ne s’est jamais aussi bien portée.

Tweet de Winamax sur PNL
Crédit photo : Twitter

L'incitation au jeu à travers les publicités à la télévision

Les bookmakers incitent au jeu en s’immisçant à la télévision grâce à des campagnes de communication qui ne cessent de se multiplier. Ces publicités sont diffusées à des moments stratégiques c’est-à-dire majoritairement à l’heure des matchs ou des émissions footballistiques, que ce soit avant, pendant ou après. Par exemple, lors de l’Euro, Betclic, Winamax, la FDJ et autres ont envahi l’espace publicitaire sans sommation. 

Dans la campagne de communication de Winamax “mettre la daronne à l’abri”, créée à l’occasion de la fête des mères et de la finale de la Ligue des Champions, on observe que la plateforme de paris sportifs met en scène l’épopée épique d’une mère dont le fils vient de gagner un pari. Ce jeune homme joue pour “mettre à l’abri financièrement” sa mère, c’est l’altruisme, la générosité et le sens de la famille que Winamax a voulu mettre en avant ici. De plus, la phrase “mettre la daronne à l’abri” a été reprise de l’influenceur Mohamed Henni, très connu pour ses paris sportifs et débriefs d’après-matchs à chaud.

Dans sa précédente campagne de communication intitulée “le nouveau roi”, la plateforme illustre le respect que les personnes peuvent éprouver envers les joueurs qui ont le courage voire même l’audace de faire des paris sportifs risqués. Ce respect est illustré par la prosternation des gens lors du passage du héros et fait, au passage, un clin d’œil à la scène de présentation du roi de la savane dans le dessin animé Le Roi Lion. 

Ce qui pose un réel problème, c’est le fait que ces publicités ciblent les jeunes des quartiers, souvent fragiles économiquement, en mettant en exergue un moyen de gagner beaucoup d’argent “facilement”. Selon l’Observatoire des Jeux (ODJ), 70% des parieurs auraient moins de 34 ans en France, et deux tiers des mises seraient pariées par des joueurs « appartenant à des milieux sociaux modestes, ayant un niveau d’éducation et des revenus inférieurs à ceux des autres joueurs ».

Les codes utilisés dans les spots publicitaires de Winamax, Betclic et les autres, rassemblent généralement des codes urbains : couloirs taggés, canapé défoncé, malbouffe et enfin un jeune issu des minorités, qui accède à la richesse et au respect de tout un quartier. De cette manière, les personnes se reconnaissant dans ce portrait se disent qu’eux aussi peuvent gagner beaucoup d’argent, obtenir le respect de tous et vont donc aller parier. 

La Française des Jeux (FDJ), quant à elle, illustre le pari sportif comme un moment de partage, comme peut l’être le sport. Entre amis, collègues ou en famille, les parieurs se charrient, se consolent, célèbrent ensemble leur victoire ou leur défaite. C’est un moment de convivialité qui regroupe des gens autour d’une passion. Ces publicités permettent de montrer un aspect plus collectif au pari qui est plus perçu comme quelque chose d’individuel de prime abord. La plateforme mise donc sur les émotions procurées “grâce” aux paris mais elle rappelle aussi dans une publicité à part entière que les mineurs n’ont pas le droit de parier, à la différence des autres bookmakers qui ne le mettent pas assez en avant. Nous ne pouvons que déplorer une prévention quasi-inexistante sur le sujet. Sur les publicités, le filigrane « Famille, vie sociale, santé financière. Êtes-vous prêts à tout miser ? » est quasiment invisible. 

Pub Winamax

Les témoignages

Nous avons regroupé différents témoignages autour des paris sportifs. Ils ont été partagés dans des articles de journaux en ligne ou sur les réseaux sociaux, où l’addiction aux paris sportifs est un sujet fréquemment abordé, et sur lesquels les bookmakers incitent aux paris.

Sur Twitter notamment, beaucoup d’internautes parlent de cette addiction de façon ironique en tweetant par exemple “Je suis addict aux paris sportifs”. D’autres mettent en garde et avertissent sur les dangers des paris sportifs ainsi que sur les abus des bookmakers. Certains addicts témoignent avoir perdu des dizaines de milliers d’euros, mais au-delà des sommes astronomiques perdues, leur santé mentale s’est fortement dégradée.

Le taux de suicide parmi les parieurs addicts est décrit comme “inquiétant”, et certains disent avoir sombré dans la démence, en mentant à leurs proches sur l’ampleur de leurs dettes, ou encore sur leur état de santé.

Témoignage sur Twitter
Témoignage sur Twitter
Témoignage sur Twitter
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Témoignage sur Twitter
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Crédits photos : Twitter

Conclusion

Bien que les bookmakers proposent différents services permettant aux joueurs de se contrôler, force est de constater que le problème de l’addiction est le cadet de leurs soucis. Et bien qu’ils ne soient légalement pas autorisés à inciter directement au jeu, leurs stratégies de marketing et de communication sont redoutables à ce sujet. Mais même si les bookmakers ne proposaient aucune stratégie, il y aurait tout de même des joueurs addicts.  Car tant qu’il y aura des jeux d’argents, il y aura de l’addiction.

Sources

Nos magnifiques réseaux sociaux

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