“Une image vaut mille mots” : les images comme outil d’inclusion

Pour ce cinquième épisode du Curious Live, Flavien et Léa sont accompagnés de leurs camarades Daphné et Eva ainsi que de Thibaud Depoyant, directeur artistique au sein de l’agence de communication Propulse, pour échanger sur la manière dont les images peuvent s’avérer être un outil d’inclusion ainsi que les procédés utilisés pour transmettre un message grâce à ces dernières.

La transmission et l’inclusion à travers les images

En communication, les images permettent de transmettre des messages, des histoires, elles sont vecteurs d’émotions. Utiliser des images dans les campagnes de communication est avant tout un choix stratégique de la part des marques, quand on sait que selon Neotess, plus de 65% de la population a une mémoire visuelle. Pour citer Perceptiom.com, “la mémorisation des informations liées à l’image est en moyenne 6 fois supérieure à celle d’un contenu textuel”, ce qui contribue donc à un meilleur souvenir du message. 

Aujourd’hui, il existe également des adaptations qui permettent aux personnes déficientes visuelles d’avoir accès à l’image, et donc de se sentir davantage incluses. Hormis l’audiodescription, on peut ainsi trouver des images tactiles, utilisant la technique de la gravure ou du thermoformage, procédé consistant à chauffer un matériau sous forme de plaque et le mettre en forme avec un moule, à l’instar de l’initiative mise en place par le CNED (le Centre national d’enseignement à distance) et la MAIF, qui ont lancé en 2010 une mallette pédagogique comprenant une série de supports tactiles mettant à disposition des personnes en situation de déficience visuelle différentes oeuvres d’art telles que la Jeune Fille à la Perle de Johaness Vermeer ou encore L’Homme Potager de Giuseppe Arcimboldo, afin de ressentir grâce au toucher une vision mentale des différents éléments des tableaux et ainsi comprendre les techniques et les intentions des auteurs.

La Jeune Fille à la Perle en thermoformage © Polymorphe-design.fr

Un sens qui varie d’un pays à l’autre : la nécessité d’une adaptation culturelle

Si on observe une volonté d’inclusion de la part de certaines institutions qui se reflète au niveau visuel, le sens des images peut parfois varier d’un pays à un autre, en fonction des coutumes, donnant lieu à certaines maladresses de la part des marques et ainsi à une tendance au “biais culturel”. Le biais culturel peut ainsi être défini comme la tendance à analyser, interpréter et juger les choses uniquement à travers le filtre de ses propres références culturelles et est, bien évidemment, à proscrire. 

Prenons par exemple la signification des couleurs, variable d’un pays à un autre. En France par exemple, on associe le noir au deuil mais aussi à la sobriété, alors qu’en Inde à l’inverse, le noir est une couleur synonyme d’équilibre et de bonne santé. Cela témoigne ainsi de l’importance d’adapter sa communication aux habitudes de chaque pays. 

Dans le cas contraire, cela peut mener à un bad buzz, comme ce fut le cas par exemple de l’affiche chinoise du film Star Wars VII, jugée raciste car l’un des personnages principaux, Finn, joué par le britannique John Boyega, avait été rétréci au maximum par rapport à la version originale. 

Affiche originale et affiche chinoise du film Star Wars VII © lepoint.fr

Dans une note plus positive, pour citer un exemple d’adaptation culturelle réussie, nous pouvons par exemple mentionner le film d’animation Zootopie, dans lequel les présentateurs TV changent selon les pays. En Amérique du Nord, c’est ainsi l’élan qui a été choisi, en raison de sa popularité au Canada notamment. Il apparaît également dans les versions européennes alors que c’est un koala qui est mis à l’honneur en Australie et en Nouvelle-Zélande, un panda en Chine ou encore un jaguar au Brésil, dont le nom fait même référence au comédien qui lui prête sa voix.

Présentateurs TV dans le film Zootopie au Canada, en Australie et en Chine © allocine.fr

Attention aux droits d’auteurs !

S’il est ainsi important de replacer les images dans leur contexte, notamment au niveau géographique afin de mieux comprendre les intentions de la part de certains pays, se pose également aujourd’hui la question des photos prises hors contexte ou utilisées dans un cadre différent.

Il existe en effet de nombreux cas de photos d’archives détournées à des fins publicitaires, comme ce fut le cas par exemple d’une publicité de 2015 de la marque Père Dodu. Au travers des 9 000 affiches publicitaires en France, on y aperçoit une photo américaine datant des années 1960, détournée en y ajoutant des messages vantant les mérites des produits de l’enseigne. Si l’agence de photo ayant vendu les clichés assure que la situation ne demande pas de garanties spécifiques en matière de droit d’exploitation de l’image des spectateur·rice·s, d’autres situations peuvent mener à des divergences. En 2012, afin d‘illustrer la longévité de ses produits, la marque britannique Burberry utilise une image d’Humphrey Bogart tirée du film Casablanca. Cependant, ses héritier·ère·s, déclarant ne pas avoir donné leur accord, décident de porter plainte contre la marque, preuve des précautions à prendre de la part d’une marque au moment d’utiliser l’image de quelqu’un sur un sujet différent.

Publicité Père Dodu de 2015 © francetvinfo.fr

Dans le même registre, on retrouve également des photos détournées à des fins artistiques cette fois. Par exemple, la célèbre photo intitulée “Guerrillero Heroico” (“Guerrier héroïque” en français) de Che Guevara, prise initialement lors d’une cérémonie d’enterrement, a depuis contribué à entretenir son mythe jusqu’à devenir presque à elle-seule un symbole de révolte.

Photo originale de Che Guevara et photo détournée comme symbole de révolte © Alberto Korda © Jim Fitzpatrick

Mais utiliser le visage d’une personne, même célèbre, a toutefois ses limites. Attention au droit à l’image et aux droits d’auteurs ! Le propriétaire ou encore la personne prise en photo a le droit de demander le retrait de la photo si elle est utilisée sans son accord ou si le photographe n’est pas crédité. En France, la personne concernée par ce délit peut encourir jusqu’à 300 000 euros d’amende. La question des droits d’auteurs pose d’autant plus problème aujourd’hui, à l’ère de l’intelligence artificielle, où tout le monde peut générer des images, peu importe son statut.

Le pouvoir des images : outil de dénonciation

Si les messages de prévention sont essentiels afin de prévenir d’éventuelles dérives et alerter sur une cause en particulier, les résultats ne sont pas toujours au rendez-vous. C’est à ce moment-là que les visuels peuvent entrer en compte. Impactants et accrocheurs s’ils sont bien choisis, ils ont comme objectif d’avoir un pouvoir supplémentaire, d’alerter davantage les individus sur une cause en particulier, à travers une image choc, que l’on peut notamment voir à la télévision ou sur les réseaux sociaux.

Par exemple, durant un week-end par an, les joueurs du championnat d’Italie de football arborent une trace de rouge à lèvres sur la joue, afin d’alerter et sensibiliser à propos des violences faites aux femmes. Une manière efficace de mettre en avant ce combat et de le visibiliser davantage dans l’espace public au vu de l’audience considérable dont disposent ces acteurs. Une action dédoublée avec sa mise en avant sur les réseaux sociaux des différents joueurs et clubs. 

De même, la marque de fast-food Burger King s’est récemment engagée pour la troisième année consécutive aux côtés de l’association Les Papillons. Une initiative remarquée au niveau digital avec une lettre du logo exceptionnellement devenue grise sur leurs différents réseaux sociaux, tout comme dans leurs restaurants avec 10 % des tables ou des sacs de cette même couleur, afin d’alerter sur le pourcentage d’enfants victimes de harcèlement en France à l’heure actuelle.

Les joueurs de football du championnat d’Italie arborant une trace de rouge à lèvres sur la joue en soutien aux violences faites aux femmes © Panoramic
Campagne de Burger King contre le harcèlement © Burger King

Mais d’autres images pouvant retenir notre attention sont parfois involontaires. Ce sont par exemple ces photos de chef·fe·s ou de dirigeant·e·s politiques, avec peu voire pas de femmes mises en avant. Des images qui témoignent malgré elles du manque de diversité et permettant d’ouvrir le débat sur le système de sélection dans certains domaines en fonction du genre, et en quoi celui-ci peut être revu afin d’être davantage ouvert.

Mais hormis les personnalités publiques et les marques, il est également possible qu’une action choc soit initiée par un·e citoyen·ne ou un·e internaute. Ces actions prennent d’ailleurs de plus en plus d’ampleur grâce à Internet, permettant de sensibiliser aux problèmes de diversité et de visibilité des minorités dans l’espace médiatique. On peut par exemple citer le Vogue Challenge, consistant à se prendre en photo en ajoutant le logo du célèbre magazine, qui a inondé les réseaux sociaux en 2020 après avoir été initié par différents internautes se plaignant d’un manque de diversité au sein des différentes couvertures. Une action débutée dans la continuité du mouvement Black Lives Matter où de nombreux carrés noirs pouvaient être observés sur les réseaux sociaux pour dénoncer la mort de George Floyd et d’une manière générale le racisme systémique envers les afro-américain·e·s.

Exemples du Vogue Challenge © observers.france24.com

Les images comme outil éducatif et inclusif

Ces actions rassemblent alors les foules en communauté qui se battent pour une cause commune. Cette idée de fédération est un pouvoir très fort des images, qui ne sert pas uniquement à dénoncer, mais également à tendre vers plus de solidarité, au travers de diverses initiatives, grâce entre autres à la création d’outils d’accessibilité sociale. Par exemple, il existe la Communication Alternative et Améliorée (CAA), ensemble de techniques permettant aux personnes ayant des difficultés de communication, notamment celles atteintes du trouble autistique, de s’exprimer ou de comprendre autrui. Elle va au-delà de la parole et englobe des méthodes telles que le Picture Exchange Communication System (PECS), qui se base sur l’utilisation de cartes ou d’images représentant des objets, actions ou besoins courants.

Une communication visuelle inclusive passe donc par une éducation inclusive pour toutes et tous. Un autre exemple pour illustrer cela est celui de l’espagnole Miriam Reyes, architecte de formation, qui s’est tournée vers l’enseignement en utilisant l’apprentissage visuel. Elle souligne que la majorité de nos informations proviennent de la vue, que le cerveau traite les images beaucoup plus rapidement que le texte et que l’apprentissage visuel laisse une empreinte plus durable dans la mémoire. Elle a cofondé Aprendices Visuales (Apprentis Visuels en français), une organisation à but non lucratif visant à rendre l’apprentissage plus inclusif pour les enfants en difficulté. Leur initiative a touché plus d’un million d’élèves avec des livres et des applications dans cinq langues. En 2016, l’organisation a remporté un prix pour son innovation sociale, reconnaissant ses réponses créatives aux défis éducatifs.

Un symbole d’unité et de fédération

Les images ont ainsi le pouvoir d’unir, de fédérer, de faire passer un message universel, compréhensible par quiconque, peu importe l’endroit du monde dans lequel on se trouve. Elles sont omniprésentes dans l’espace public et jouent un rôle majeur dans la communication visuelle. Il existe notamment des symboles reconnus mondialement, comme le symbole de paix adapté lors des attentats de 2015 pour y intégrer la Tour Eiffel, véhiculant un message puissant et fédérateur.

Symbole Peace for Paris © Jean Julien

Les réseaux sociaux ont également introduit une variété d’emojis, offrant une représentation davantage diversifiée de chaque individu et suscitant des débats sur les symboles potentiellement offensants. On peut également mentionner les GIFs et les memes qui captent rapidement l’attention et offrent un langage visuel universel, facilitant la communication et l’expression sur diverses plateformes en ligne. Dans un contexte international, les visuels tiennent une importance cruciale. Un exemple simple de cette universalité visuelle se trouve dans les panneaux de signalisation routière, qui ont comme volonté d’unifier la compréhension des règles de conduite à travers des symboles universels.

Images et intelligence artificielle

Mais un outil grandissant qui nous oblige à repenser notre manière de consommer les images, au cœur de nombreux débats ces derniers mois, c’est l’intelligence artificielle. Utilisée à bon escient, elle peut contribuer à obtenir une communication visuelle plus inclusive. En effet, les algorithmes de reconnaissance d’image ont la possibilité d’être formés pour identifier et inclure une plus large diversité de personnes, de cultures et de caractéristiques physiques. Cela peut garantir une représentation plus équilibrée dans les images, si tant est que l’intelligence artificielle soit performante, qu’elle détienne les bonnes informations pour permettre ces créations. Les outils d’intelligence artificielle peuvent par ailleurs permettre la personnalisation des images pour répondre aux besoins individuels. Ils peuvent alors être utilisés pour identifier les biais existants dans les images et ainsi aider les créateur·rice·s à les corriger.

En conclusion, utilisées comme outil éducatif, de dénonciation ou encore de solidarité, les images contribuent ainsi à tendre vers une société et une communication plus inclusive, profitant également de l’avènement d’outils puissants à l’image de l’intelligence artificielle.

Flavien BERT et Léa SIMONNET