Fémini-révolution des médias, un mirage ?

Dans une société où les femmes peinent encore à s’imposer dans la plupart des professions, la question de la représentation féminine dans les médias reste d’actualité. Entre stéréotypes, lutte pour la visibilité et manque d’inclusion, les femmes journalistes naviguent entre ces défis quotidiens et tentent de faire leur chemin.

Malgré une évolution notable sur le dernier siècle, la place des femmes travaillant dans les médias demeure un enjeu contemporain majeur. Longtemps restée dans l’ombre, la gent féminine s’impose peu à peu dans un monde où, en 2017 en France, seuls 25,9 % des directeurs ou directrices de publication ou de rédaction (contre 19,6% en 2000) étaient occupés par des femmes (d’après l’INA). Elles arrivent progressivement à se faire connaître aux yeux du grand public, mais malgré tout, les avancées sont à nuancer et des progrès restent à faire.

Une place croissante

Si le métier de journaliste existe depuis des siècles en France, la place qu’y occupent les femmes n’a pas toujours été la même qu’aujourd’hui. Sous-représentées dès le départ, à l’image de leur invisibilisation dans la société, elles sont rapidement enfermées dans une presse dite “féminine”, où elles abordent des sujets comme la couture et la cuisine. Certaines tentent de s’imposer, comme Marguerite Durand, qui crée le premier journal féministe nommé La Fronde en 1897, paru quotidiennement pendant 6 ans. D’autres écrivent sous un pseudonyme, comme Séverine (en réalité Caroline Rémy), première femme à diriger un grand quotidien comme Le Cri du Peuple, ou encore Simone Dever, journaliste belge, faisant passer ses écrits au nom d’un certain “Marc Augis”. C’est à partir de la Seconde Guerre mondiale que les choses s’accélèrent : les hommes qui partent au front sont remplacés par les femmes, des revues militantes telles que Le Torchon Brûle voient le jour, et des luttes comme la légalisation de l’avortement montent en puissance. Les femmes accèdent progressivement à des “métiers d’hommes”, comme Jacqueline Joubert, engagée le 3 mai 1949, connue comme étant la première speakerine française. L’AFJ (Association des Femmes Journalistes) est créée en 1981 : le XXe siècle marque l’essor de la féminisation de la presse. Les années 2000 améliorent nettement la parité dans les médias : en 2022 dans l’hexagone, sur 33 626 journalistes actif·ves, la carte de presse a été attribuée à 17 431 hommes, 16 107 femmes et 88 personnes qui se sont déclarées neutres. Malgré l’augmentation de la présence des femmes dans les rédactions, les inégalités perdurent et ces données globales recouvrent des variations selon le genre médiatique, le statut et la qualification.

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Inégalités et stéréotypes

Le journalisme semble à première vue se féminiser : selon J’ai un pote dans la com, alors qu’elles étaient 36% de journalistes radio et 40% de journalistes TV en 2016, elles sont désormais 42 % et 46 % en 2023, indique Le Monde. Au total, 47% de femmes journalistes apparaissent dans les médias en 2022 selon France Bleu. L’augmentation apparait comme encourageante, mais leur implication et leurs voix n’en restent pas moins étouffées ou mises à l’écart. Les femmes demeurent peu nombreuses dans les fonctions de responsabilité et sont souvent cantonnées dans des médias moins convoités. Elles disposent d’un temps de parole moindre ou représentent des spécialités moins prestigieuses que leurs confrères masculins. Certaines sont discriminées par leur physique tandis que d’autres, plus dans les normes de beauté, servent parfois de faire-valoir à leurs homologues masculins. D’après J’ai un pote dans la com, les médias ne montrent que 20% de femmes expertes ou porte-paroles, contre 80% d’hommes. Lorsqu’il s’agit de rôle secondaire de témoin, les femmes représentent 55% des apparitions. Comme illustration, les reportages sur le coronavirus, dans lesquels 27 % des spécialistes de la santé sollicités sont des femmes. Le GMMP (Global Media Monitoring Project) indique que ce chiffre est bien inférieur à la moyenne mondiale de femmes travaillant dans la santé, qui est de 46%. Une réalité d’autant plus préoccupante lorsque les journalistes féminines peuvent percevoir jusqu’à 26% de salaire en moins (28.700 € contre 38.300€) que les hommes exerçant la même fonction, révèle le média ActuAlitté.  Réel miroir de notre société, les médias montrent les valeurs et les normes revendiquées par celle-ci. Ils jouent un rôle crucial dans la construction de l’identité culturelle, politique et sociale d’un territoire, mais ne reflètent pas la réalité de la condition de ces femmes.

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Le rôle des médias émergents

Les “nouveaux” médias comme les podcasts et les vidéos, permettent à la gent féminine de prendre davantage la parole sur des sujets primordiaux et de réaffirmer leur place dans l’espace public depuis les années 2000. Femmes de toutes ethnies, de toutes morphologies ou porteuses de handicap, celles qui apparaissent loin de tous les diktats habituellement imposés aux journalistes féminines à la télévision ou à la radio peuvent trouver leur place. En majorité, celles qui ont du succès restent conformes aux stéréotypes de genre et répondent aux critères imposés par la société. Contrairement aux médias traditionnels, les nouvelles plateformes leur permettent d’obtenir une posture différente voire une meilleure représentation, comme dans les podcasts, où il n’est pas question d’image, mais seulement d’une voix. D’autres obstacles se dressent cependant lorsqu’elles tentent de se faire une place. L’association Les Internettes dénonce notamment l’invisibilisation des femmes sur YouTube, due à l’algorithme :  “l’algorithme de Youtube prend en compte le nombre de vues. Or, les plus grosses chaînes, celles qui ont le plus de vues, sont des chaînes d’hommes. Donc les hommes, qui ont plus de vues, sont mis en avant, ce qui leur apporte encore plus de vues… au détriment des créatrices !”. Si certaines arrivent à se frayer un chemin et à se hisser vers le podium, elles subissent du cybersexisme et sont confrontées à des commentaires dégradants ou des attaques en ligne : “une nouvelle menace pour la liberté de la presse” écrit l’association Prenons la Une. Le mouvement #MeToo, qui a éclaté en 2017, a permis en partie de mettre en lumière ces problèmes et d’engendrer des évolutions, mais n’a pas suffi. D’autres actions sont menées pour dénoncer toutes les inégalités du métier, comme la révélation des écarts de salaire lors de la grève de signatures des journalistes femmes des Échos en 2013, ou encore la dénonciation du sexisme ordinaire dans la tribune des femmes journalistes politiques victimes de sexisme en 2015. Les stéréotypes de genre persistent encore aujourd’hui malgré les évolutions des esprits et les combats continuent d’être menés. Les témoignages des victimes rendent compte de l’état des rapports de pouvoir existant entre les femmes et les hommes dans l’espace journalistique.

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LONDERO Léna et HUET Pauline