Et si le Web nous oubliait un peu?

Impossible, non?! Parce que oui, nous le savons tous, nous vivons dans une ère sociale de surexposition digitale. Les réseaux sociaux sont devenus une immense scène virtuelle, où se déploie la grande parade de nos profils et de nos publications. Un spectacle vivant où chacun s’affiche sous son meilleur jour car on ne sait jamais qui est en train de nous regarder. Mais finalement, l’infinité des interactions auxquelles nous nous abandonnons quotidiennement dans ce théâtre virtuel ne nous enferment-ils pas dans un rôle parfois de plus en plus étranger à nous-même? Explications.

Alors que l’utilisation des réseaux sociaux atteint son apogée, ceux-ci deviennent paradoxalement et désespérément lisses et monotones…Toujours plus beaux, plus cools, plus drôles, plus sophistiqués…les contenus que nous publions sont soigneusement choisis pour renvoyer une image impeccable de nous-même. Qui aura la plus belle photo de vacances ? Qui tweetera la phrase la plus drôle ?  Qui partagera le buzz du jour en premier ?  Qui participera à la soirée de l’année ? Tout le monde à vrai dire…

Il y a deux ans, Jenna Wortham, journaliste américaine spécialiste des nouvelles technologies, tirait déjà le signal d’alarme dans un article publié dans le New-York Times, en clamant : « Il y a un réel problème avec les réseaux sociaux aujourd’hui. On s’ennuie ».

Et oui, ce n’est un secret pour personne, lorsque l’on interagit sur la toile, nous ne sommes pas vraiment nous-même. On se construit une image de circonstance, on stylise notre existence en sélectionnant les meilleurs fragments de notre personnalité, de nos voyages, de nos sorties…Le tout, afin de présenter une réalité édulcorée de notre vie, des versions bien pensées de nous-mêmes induites par la peur des quand dira-t-on. Un phénomène qui découle d’un syndrome que certains ont décidé d’appeler la “tyrannie de la comparaison” où chacun tente de dresser un portrait idyllique de son existence pour ne pas perdre la face devant les autres. A ce propos, le philosophe Eric Sadin, spécialiste des rapports au numérique qualifiait Facebook de « Machine à flatter ».  Mais il en est de même pour la plupart des réseaux sociaux. Ils sont devenus un moyen d’acquérir reconnaissance et admiration au sein des communautés. Les internautes se parent d’artifices numériques et se livrent à une chorégraphie digitale à coup de filtres Instagram, de likes ou de tweets bien placés! Pourquoi? Parce que toute trace de notre activité sur la toile est stockée, archivée, jugée, commentée, interprétée, partagée…Bref, nous sommes pris par la mise en scène de ce spectacle d’informations qui au final, manque cruellement de spontanéité et d’authenticité. Un jeu de plus en plus oppressant où l’instantanéité n’est plus tout fait de mise. Un comble, à l’heure où l’on prône une sociabilité immédiate et un partage de l’information en temps réelle.

Mais ne sommes nous que ça ? Un ensemble de datas préfabriquées sur une base de clics et de publications ? Soumis au joug de l’interaction permanente, certains semblent lassés voire blazés d’entretenir cette vitrine d’eux-mêmes. Embarrassés de voir leurs échanges numériques stockés, épiés et décortiqués comme des rats de laboratoires. Car au bout du compte, dans cette sphère où « je suis qui bon ME semble » ne deviendrais-je pas « qui bon VOUS semble » ? Là est la question. A l’heure où la Big Data prend des allures de Big Brother et où l’hyperconnectivité règne en maître, il semblerait que notre vie numérique prenne le pas sur notre réelle existence au détriment de notre personnalité et notre identité. Un décalage parfois troublant.

Ainsi, face à cette schizophrénie collective, on voit émerger aujourd’hui une vague de communication alternative où les internautes tentent d’effacer ou de limiter les traces de leur passage sur la toile. Si certains décident de fuir le net, d’autres y remédient autrement. Une nouvelle forme d’expression voit le jour, celle d’un internaute voulant réconcilier réel et virtuel. Pour cela, ils adoptent de nouveaux outils qui leur permettent de s’exprimer en toute sécurité, de partager des confidences sans être jugés, d’être finalement un peu plus eux-mêmes. En effet, ces derniers mois ont vu la naissance d’applications telles que Secret ou Whisper qui permettent aux individus de communiquer et partager des secrets tout en restant anonymes. Deux app qui rencontrent un réel succès outre-atlantique. Mais avant cela, qui n’a pas entendu parler du phénomène SnapChat qui permet d’échanger des contenus qui s’auto-détruisent au bout d’une à dix secondes en retrouvant les joies du réel partage instantané et éphémère. Le succès de ces applis ne sont-elles pas la preuve d’un besoin inconscient de s’exprimer librement et d’échapper au regard de la toile ? Echanges éphémères, contenus cachés, ou apparitions masquées, tels semblent être les nouveaux modes opératoires de la sphère virtuelle.

Alors on fait quoi maintenant ?

On respire. Et si le futur des réseaux sociaux et d’Internet en général était, plutôt que de nous surveiller en permanence, de nous laisser nous effacer ? De rendre nos vies virtuelles plus authentiques et notre double numérique plus humain ? De nous fournir des outils qui nous permettent d’agir et d’interagir comme dans la vie réelle ? De pouvoir lâcher prise et sortir de nos comportements sous contrôle en retrouvant une vraie spontanéité (et une personnalité au passage!). Retrouver le frisson de l’instant et laisser les paroles s’envoler comme le veut la vraie vie..Eloigner la crainte de voir l’une de nos publications se retourner contre nous. Pouvoir échanger avec une personne sans que celle-ci puisse accéder à l’historique entier de notre existence. Enfin, tout simplement de construire une sociabilité moins vorace, moins intrusive mais plus authentique et responsable.

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