« Casse-toi pauvre com’ »

« La communication envahit tous les champs ». C’est ce que disait déjà Lucien SFEZ, écrivain et professeur en droit et sciences politiques, en 2010. Ayant progressivement vu sa place évoluer au sein de l’entreprise, la communication a aujourd’hui transformé les différentes fonctions des organisations, en faisant par exemple passer le marketing d’une politique produit à une politique d’image. Cependant, si cette évolution peut être considérée positive, on constate aujourd’hui que le terme « communication » n’est pas clairement défini, générant des problèmes d’identification et de compréhension. Longtemps ignorée, cette pratique professionnelle a été, et est encore aujourd’hui, apparentée à la publicité pour certains, et au journalisme pour d’autres. Réduite à des finalités informatives ou commerciales, la communication ne serait ainsi qu’ « abus, travestissement et superficialité » comme l’évoque Arnaud BENEDETTI dans « Figures d’une mal-aimée : la com’ ».

La com « tendance » : de l’origine d’une dé-crédibilisation

visuel casse-toi pauvre communication

Si la communication pâtit de nos jours de cette image, c’est surtout à cause de l’effet de mode de ces dernières années, qui a accéléré les confusions. En effet, la communication est aujourd’hui devenue « tendance », comme en témoignent l’essor du nombre de formations dans ce domaine ou la multiplication du nombre de publications. Cependant, cet engouement n’a pas eu que des effets positifs sur la pratique. Alors qu’on parlait majoritairement de « pub » ou de « marketing », on utilise maintenant abusivement une expression à la fois devenue mot-clef et mot-valise : « C’est de la com’ ». Cette vulgarisation est ainsi à l’origine de la dé-crédibilisation de la pratique et des métiers qui y sont associés. Denis GANCEL, président de W & Cie, parle ainsi de « poison sémantique » et ajoute que cette considération est propre à la France ; pour lui c’est une « arme de déconsidération massive [pour] tous les débatteurs en mal d’arguments ».

Mais cette banalisation de la communication encourage aussi la méfiance des Français, qui, « en état de fracture psychologique, sont à la recherche de sens, de repères et de point d’appui ». En quête d’une vérité légitime, l’opinion publique est ainsi progressivement devenue réfractaire à la pratique en elle-même, sans même savoir clairement la définir : tout est devenu de la com.

De la même manière, c’est sans doute la polyvalence de la pratique qui lui a conféré cette image. Empruntant à la sociologie, à la linguistique, à la sémiotique ou encore à la philosophie, la communication combine différentes pratiques littéraires indépendantes pour les intégrer dans le contexte économique actuel. Cependant, cette pluridisciplinarité peut s’avérer ambiguë et trompeuse pour un public non averti. Cette confusion générale porte ainsi la majeure partie de l’opinion publique à penser que tout le monde peut communiquer, puisque la communication serait une pratique commune, à la portée de tous. La vision réductive de la communication par un « effet d’abstraction » s’est donc développée, résumant la communication aux outils qu’elle met en place, en occultant toute la réflexion stratégique sur laquelle elle se base. On fait face à une véritable dénaturation de la pratique, par une mauvaise analyse du discours.

Comme le résume Lucien SFEZ, les abus ont enfermé la communication dans une position délicate qui contraignent aujourd’hui les professionnels du métier au paradoxe suivant, qui est de devoir communiquer « par les instruments qui ont, précisément, affaibli la communication ». En effet, on constate qu’il y a un manque de communication autour de ce qu’est la communication : il semble ainsi nécessaire d’établir une stratégie de communication globale pour revaloriser la pratique en elle-même.

« Un pour tous et tous pour la com’ ! »

Par ce constat, on comprend qu’il est aujourd’hui nécessaire de légitimer nos professions de communicants auprès d’un public de plus en plus sceptique et soupçonneux, qui voit les chargés de communication et publicitaires comme des créateurs d’affiches et de slogans en tout genre, voire comme des menteurs ou profiteurs. Pour réattribuer aux communicants la fonction de stratèges honnêtes et humanistes qui leur revient de droit, il est donc important de définir clairement et publiquement ce qu’est la communication pour en justifier son existence. Ainsi, je pense qu’il est aujourd’hui nécessaire de réaffirmer le rôle de la communication en rappelant au plus grand nombre ce qui en fait une pratique honnête, utile et sociale.

En effet, la communication est avant tout, l’art de donner du sens. Construite comme une véritable argumentation, en réponse à un besoin ou une problématique clairement identifiée, la communication est d’abord une réflexion dont découlent un positionnement, des objectifs et un message. Ella crée de la valeur en donnant une signification aux signes que l’on rencontre chaque jour, pour répondre au besoin de représentations sociales que présente tout individu. Ce qui nous amène au deuxième point clef : une pratique tournée vers le social. En effet, alors qu’on l’assimile souvent à de la manipulation, il est ici intéressant de se pencher sur la définition de ces termes. En effet, la communication, en tant qu’argumentation, ne détourne pas de la vérité mais se définit, au contraire, par son aspect véridique et par l’apport informationnel qu’elle permet. Communiquer c’est influencer sans tromper, à travers l’utilisation d’arguments véridiques, légitimes et avérés, qui guident le récepteur dans ses choix sans rien lui imposer. C’est d’ailleurs ce que confirme Raymond BOUDON lorsqu’il souligne que notre société se base sur des « systèmes de croyances partagées », que la communication aide à façonner. De plus, toujours dans cette dimension sociale, les différents courants de pensée ont largement prouvé que la communication n’est pas unidirectionnelle et permet ainsi de créer du lien social. A travers le partage et l’échange qu’ils favorisent, les moyens de communication ne servent ainsi pas seulement les objectifs de l’émetteur, mais également ceux du récepteur, qui est écouté.

Alors que « la com tendance » a entrainé le dénigrement de la pratique, les communicants doivent donc revaloriser leur travail en prouvant qu’ils ne vendent pas une simple succession d’idées, mais une vraie création stratégique raisonnée, qui vise à donner du sens et créer du lien et des repères pour tous les êtres sociaux que nous sommes. Les professionnels du métier doivent donc plus que jamais développer un discours de la preuve, qui, basé sur des arguments vrais, concrets et illustrés, permettra une véritable revalorisation de la pratique professionnelle.


« Pour que l’expression « c’est de la com’ » ne provoque plus un soupir désabusé… », comme le dit si justement Yonnel POIVRE-LE-LOHE, conseiller en communication, il est nécessaire que les professionnels de la communication s’unissent aujourd’hui pour faire face aux stéréotypes liés au contexte, aux mauvaises pratiques et aux fausses suppositions. Si ces métiers répondent aujourd’hui à une vraie demande de réponses et d’échanges, ils doivent revendiquer les valeurs de partage et de cohésion sociale sur lesquelles la communication se base. Les communicants doivent se présenter à l’opinion publique comme de véritables créateurs, qui, plus que créatifs, mettent en place des stratégies basées sur une réflexion qui vise à argumenter et aiguiller, sans manipuler. Si les communicants disposent en 2015 de tous ces arguments, il est donc nécessaire de faire les démarches qui permettront de montrer qu’il est aujourd’hui dans l’intérêt de tous de redonner sa vraie place et sa juste image à la communication.

Rédaction : Alexia Monastra – Edition et publication : Céline Bousseronde