Octobre rose : soutien sincère ou pinkwashing ?

Un bar qui crée une boisson alcoolisée spécialement à l’occasion de la campagne de sensibilisation contre le cancer du sein, ou encore une marque de cosmétiques qui sort des produits roses à cette occasion alors que leur composition présente des perturbateurs endocriniens … Le point commun entre ces produits ? Ils constituent des facteurs de risque pour le développement de ce cancer. En effet, selon une étude menée par le Centre International de Recherche sur le Cancer (CIRC) en 2018, “environ 4 cancers du sein sur 10 seraient attribuables au mode de vie, aux expositions professionnelles et à l’environnement en France métropolitaine, avec en tête l’alcool

Un œil averti aura reconnu ici du pinkwashing … Mais alors, qu’est-ce qu’Octobre rose, et pourquoi les grandes marques sont-elles si friandes de causes sociales ?

L’histoire d’Octobre rose

Crédit photo : The first Race for the Cure was organized by the Junior League of Indianapolis and hosted at Fort Benjamin Harrison.

Les prémices d’Octobre rose, campagne internationale de sensibilisation au dépistage du cancer du sein et de récolte de fonds pour la recherche, remontent aux années 1980 aux Etats-Unis. On y a vu apparaître le National Breast Cancer Awareness Month par le biais de courses caritatives telles que Race For The Cure (course pour la guérison). C’est en 1994 que la campagne arrive en France, à l’initiative du groupe de cosmétiques Estée Lauder, de la marque Clinique et du magazine Marie Claire. Elle s’est ensuite fortement développée en trente ans. 

Le pinkwashing derrière les campagnes de sensibilisation

Avec le succès d’Octobre Rose, le terme de pinkwashing a également fait son apparition. Ce phénomène s’appuie sur un soutien affiché à la cause féministe de la part d’une organisation, alors que cette dernière exploite et/ou participe à l’inégalité que les femmes subissent quotidiennement. Ainsi, la campagne de sensibilisation au cancer le plus répandu chez les femmes devient alors une aubaine de communication pour les marques. 

Mais d’où vient ce concept ?

La petite histoire du washing

Crédit photo : Equipe BCA (Source : https://www.bcaction.org/about-think-before-you-pink/)

À l’origine, le phénomène washing provient du whitewashing, qui, selon le Cambridge Dictionary se définit comme an attempt to stop people finding out the true facts about a situation”. Autrement dit, il s’agit d’“une tentative pour empêcher les gens de découvrir les faits réels d’une situation.”

 

Ainsi, la notion de pinkwashing provient du washing, purposewashing ou encore colorwashing. Il s’agit d’une critique faite à une organisation ou marque qui tente d’embellir son image en se servant d’une cause sociale dans le simple but de générer des bénéfices, sans changer ses pratiques, qui, elles-même, sont contradictoires à cette cause. 

Le terme cause-related marketing pensé par Samantha King, qui peut aussi être appelé “marketing philanthropique, a même été créé afin d’illustrer un objectif mercantile dissimulé par un engagement social. 

Mais, souvent, le public découvre la vérité et cela provoque l’effet inverse de celui attendu : le bad buzz

Pinkwashing et Octobre rose, un phénomène de controverse

Pourtant si sur le papier voir les marques s’engager pour une telle cause est enthousiasmant, en réalité tout n’est pas si rose… En effet, en plus de s’être transformée en un véritable objet marketing utilisé par les marques pour générer du bénéfice sur la bonne conscience du consommateur, la campagne de sensibilisation fait l’objet de certaines critiques pour son manque de visibilité sur le cancer du sein chez les hommes ou de par son affiliation à la couleur rose qui renforcerait les stéréotypes de genre et objectifierait le corps féminin.

Une campagne de révolte face au pinkwashing

Crédit photo : Campagne 2023 BCA

Afin de dénoncer le pinkwashing autour d’Octobre rose, le groupe d’observation américain Breast Cancer Action (BCA), a mis en place, depuis 2002, une campagne annuelle de sensibilisation appelée “Think before you pink” (pensez avant d’oser le rose). Celle-ci a pour but d’avertir les consommateurs sur ces produits roses pourtant cancérigènes.

Crédit photo : Campagne “Bucket For The Cure” réalisé par l’équipe communication/marketing du groupe Komen

La chaîne de restauration rapide, KFC, en a d’ailleurs fait les frais avec sa campagne “Bucket For The Cure” (un seau pour la guérison). En 2010, le géant du fast food s’associe avec le groupe Komen, une organisation américaine de lutte contre le cancer du sein et lancent cette campagne dans le but de reverser les fonds récoltés à l’association. Le concept ? Commercialiser, en édition limitée, le fameux chicken bucket dont les seaux sont teintés de rose en rappel à la sensibilisation au cancer. Problème… Le surpoids fait partie des facteurs de risque comportementaux du cancer du sein. 

Le groupe BCA n’a donc pas hésité à attaquer KFC suite à cette campagne en dénonçant la pratique du pinkwashing dans un article intitulé “Breast Cancer Action Calls Shame on KFC’s Pink Buckets Campaign” (action contre le cancer du sein : honte à la campagne seaux roses de KFC). 

Du pinkwashing au rainbow washing

Initialement employé pour la cause féministe, le pinkwashing s’est vite transformé, intégrant toute lutte sociale progressiste, notamment celle supportant la communauté LGBTQIA+

Est ensuite apparu récemment aux Etats-Unis le terme de rainbow washing. Ce mot désigne le fait qu’une organisation ou marque dise soutenir la communauté LGBTQIA+ sans qu’aucune démarche effective ne soit réalisée en faveur de celle-ci. Alors, chaque année en juin, à l’occasion du mois des fiertés, les marques remplacent leurs couleurs par celles du drapeau arc-en-ciel dans un but vraisemblablement lucratif.

Ainsi, la campagne digitale du géant de l’automobile Mercedes Benz du groupe Daimler en est un bon exemple.

Crédit photo : @soerenkliem.bsky.social

A l’occasion du mois des fiertés, la firme transnationale a lancé, en 2021, une campagne de communication mettant en avant le célèbre logo revêtu des couleurs de l’arc-en-ciel. Mais la marque n’entreprenant pas d’action particulière en faveur de la communauté LGBTQIA+, et ayant ciblé de façon spécifique les pays destinataires de cette communication, a essuyé une vague de critiques de la part de la communauté. 

 

Néanmoins, le terme rainbow washing a du mal à traverser l’Atlantique et son emploi reste encore marginal dans l’hexagone.

Alors, le pinkwashing, toute l’année ou seulement pendant Octobre rose ? 

Manal LOURACHI et Amandine VIAU