
Depuis quelques années, les influenceurs et influenceuses se sont imposé·es comme des acteur·ices incontournables de la communication. Le sport, longtemps dominé par les médias traditionnels et les sponsors institutionnels, est aujourd’hui largement façonné par ces créateurs de contenu qui occupent une place grandissante dans l’imaginaire collectif. Leurs vidéos, stories et publications Instagram ou TikTok ne se contentent pas de divertir : elles orientent les pratiques sportives, les achats, voire le rapport au corps. Comprendre leur rôle, c’est éclairer les mutations profondes de la communication sportive contemporaine.
Qu’est-ce qu’un·e influenceur·se sportif·ve ?
Un·e influenceur·se se définit comme une personne capable d’orienter les comportements et les choix de consommation de sa communauté grâce à sa popularité et son expertise. Dans le domaine du sport, cette influence prend des formes variées : conseils d’entraînement, routines fitness, challenges, recommandations nutritionnelles, tests de produits ou encore partages d’expériences personnelles. La différence avec un simple sportif amateur réside dans la régularité, la créativité et la capacité à mobiliser une communauté autour d’une passion.
Des figures bien connues incarnent ce modèle : Tibo Inshape, Juju Fit Cat ou encore Marine Leleu comptent plusieurs millions d’abonné·es et génèrent des interactions massives à chaque publication. Plus qu’un simple relais de pratiques sportives, ils sont devenus des marques à part entière, capables de susciter l’engagement de leurs abonné·es et d’attirer les partenariats des plus grandes enseignes.

Le boom du confinement : quand le sport devient digital
Si les influenceurs sportifs existaient déjà avant 2020, la pandémie de Covid-19 a agi comme un accélérateur sans précédent. Pendant le premier confinement, le trafic sur les réseaux sociaux a bondi de 61 %, et les contenus liés au sport ont littéralement explosé : +266 % pour le sport en général, +230 % pour le yoga et +65 % pour le fitness selon une étude de la plateforme Hype Auditor.
Privé·es de salles et de compétitions, beaucoup ont découvert le sport à domicile à travers des vidéos en ligne, des lives interactifs ou des programmes diffusés gratuitement sur Instagram et YouTube. Des coachs et athlètes de haut niveau ont adapté leur pratique pour maintenir le lien avec leurs publics. Dans ce contexte, des créateurs relativement inconnus ont émergé grâce à des collaborations croisées avec des YouTubeurs ou TikTokers déjà populaires. L’exemple du coach parisien Akim, qui a gagné en notoriété grâce à ses séances en direct avec McFly & Carlito, illustre cette dynamique.
Ce boom a fait entrer l’influence sportive dans une nouvelle dimension : d’un passe-temps individuel, elle est devenue un phénomène collectif, avec ses codes, ses vedettes et ses stratégies de communication.

Les clés d’une communication réussie
La force d’un influenceur sportif repose avant tout sur sa capacité à construire une image personnelle forte – ce que l’on appelle le personal branding. Loin des communications institutionnelles souvent formatées, l’influence se nourrit d’une authenticité mise en scène : les abonné·es perçoivent un récit personnel, mais il s’agit en réalité d’une authenticité travaillée et construite pour être crédible. Un·e abonné·e ne suit pas seulement des exercices, il·elle suit une histoire : celle d’un parcours, d’une transformation, d’une passion vécue au quotidien.
Ce storytelling doit être cohérent et maîtrisé. Mal construit, il peut rapidement nuire à la réputation de l’influenceur. Au contraire, lorsqu’il est efficace, il crée une véritable connexion émotionnelle entre créateur et audience, condition indispensable pour bâtir une relation de confiance durable.
À ce travail sur l’image s’ajoute la gestion des partenariats. Dans le domaine du sport, les collaborations avec des marques d’équipement, de nutrition ou de coaching en ligne sont monnaie courante. Mais elles ne fonctionnent que si les valeurs de la marque et celles de l’influenceur semblent alignées. Lorsqu’un partenariat paraît artificiel, la communauté le perçoit immédiatement et la crédibilité en pâtit. Une étude d’Influencer Marketing Hub (2023) montre ainsi que 61 % des consommateurs déclarent se méfier d’un influenceur qui multiplie les collaborations sans cohérence, tandis que 49 % affirment avoir déjà acheté un produit suite à une recommandation perçue comme sincère.
Enfin, le community management joue un rôle essentiel. Une publication régulière, une variété de formats (vidéos, lives, challenges), et surtout une interaction constante avec les abonnés garantissent une visibilité durable. Cette proximité crée une relation presque amicale, qui distingue l’influenceur·se d’un média classique.

Les dérives de l’influence sportive
Mais l’influence sportive n’est pas exempte de critiques. Plusieurs dérives interrogent son impact sur les pratiques et la santé.
La première tient aux discours véhiculés. L’injonction permanente à la performance, le culte du dépassement de soi ou encore la motivation par la culpabilisation peuvent générer frustration et perte de confiance. Au lieu de valoriser le sport comme un plaisir ou une source de bien-être, ces messages entretiennent parfois une pression sociale étouffante.
La deuxième dérive concerne la promotion de produits douteux. Nombre d’influenceurs sportifs collaborent avec des marques de compléments alimentaires, de brûleurs de graisses ou de substituts de repas. Or ces produits ne sont pas toujours adaptés ni scientifiquement validés. Le vidéaste Simon Puech l’a démontré avec une expérience marquante : il a créé un faux complément alimentaire, le BioZin2, contenant en réalité le nom d’une molécule toxique, le soman, et plusieurs influenceurs ont accepté d’en faire la promotion sans vérifier au préalable la composition.
Enfin, l’esthétique véhiculée par les réseaux sociaux pose question. Les corps mis en avant sont souvent idéalisés, sculptés par des heures d’entraînement, mais aussi par des filtres et retouches numériques. Ce « corps parfait » entretient une norme irréaliste qui peut générer complexes et mal-être, notamment chez les plus jeunes. La tendance #SkinnyTok véhiculée en masse sur TikTok témoigne de la force de ces représentations normées.
Vers une influence plus responsable
Face à ces dérives, plusieurs leviers permettent d’encadrer et de réorienter l’influence sportive.
D’abord, la responsabilité individuelle des créateurs reste un idéal souvent évoqué. Dans les faits, tous ne reconnaissent pas leur rôle prescripteur. C’est pourquoi des garde-fous juridiques existent : en France, la loi du 9 juin 2023 encadre précisément l’activité des influenceurs, en imposant la transparence sur les partenariats commerciaux et en interdisant la promotion de certains produits (médicaments, chirurgie esthétique, etc.).
Ensuite, les campagnes dites « positives » montrent que l’influence peut servir d’autres causes. Mais la lucidité reste de rigueur : même lorsqu’elles associent marques, influenceurs et ONG, elles s’inscrivent dans une logique de communication où chacun a un intérêt à y participer. L’opération #JeDonneLeSourire, menée par Colgate et l’association Premiers de Cordée avec des sportifs renommés, en est un bon exemple. Si l’action a permis d’offrir une journée sportive à des enfants hospitalisés, elle a aussi renforcé l’image de marque de Colgate et des athlètes impliqués. Comme toujours en communication, la frontière entre engagement sincère et stratégie d’image reste ténue.
De même, certains champions comme Clarisse Agbégnénou ou Camille Lacourt utilisent leur notoriété numérique pour aborder des sujets sensibles comme la santé mentale. Ces prises de parole brisent des tabous tout en participant à la construction de leur image publique et de leur légitimité médiatique.
Conclusion
L’influence sportive est à la fois une formidable opportunité et un terrain miné. Opportunité, car elle permet de démocratiser l’accès au sport, d’inspirer des millions de personnes et de donner de la visibilité à des causes importantes. Terrain miné, car elle véhicule parfois des standards irréalistes, des pratiques commerciales discutables et des discours culpabilisants.
Les influenceur·ses peuvent désormais être considérés comme des acteur·ices à part entière de la communication sportive. Leur pouvoir grandit à mesure que leur audience s’élargit, et avec lui leur responsabilité – partagée entre cadre légal, régulation collective et esprit critique des audiences. Pour que cette influence reste une force positive, il faudra continuer à conjuguer authenticité construite, transparence et vigilance, afin que le sport reste avant tout une école de bien-être, d’équilibre et de partage.
Par JOYCE GODGI et MAXIME BAILLET