Le langage au service de l’inclusion : entre écriture inclusive et controverses

Pour ce deuxième rendez-vous du Curious Live, les étudiant⸱e⸱s du Master MASCI reviennent pour échanger autour de la communication inclusive, et plus particulièrement d’un sujet au cœur des débats : l’écriture inclusive.

L’écriture inclusive, qu’est-ce que c’est ?

Selon l’agence de communication Mots-Clés, la notion d’écriture inclusive peut être définie comme suit : « l’ensemble d’attentions graphiques et syntaxiques permettant d’assurer une égalité des représentations entre les femmes et les hommes ». 

 

Son but est de tenir compte de tous⸱tes les individus⸱es et de leur singularité, en incluant leur unicité dans les différentes formes de langages utilisées. Grâce à l’écriture inclusive, les mots retrouvent leur pouvoir transformatif. La langue devient un outil qui témoigne de l’évolution des sociétés, de l’évolution des valeurs, mais est également une arme pour combattre les inégalités de genre ou de nationalité.

 

Historiquement, la notion d’« écriture inclusive » est apparue dans la sphère médiatique en 2017, soit en même temps que l’avènement des hashtags MeToo et BalanceTonPorc, deux mouvements d’ampleur pour la libération de la parole des femmes face aux violences sexuelles. C’est donc une notion assez récente, qui reflète les enjeux contemporains et l’évolution des valeurs, notamment le combat pour l’égalité femmes-hommes, avec une volonté de dégenrer les noms, verbes ou pronoms.

Une notion récente qui suscite un intérêt grandissant

Selon le bilan de Google « A Year in Search », qui répertorie les mots et expressions les plus recherchés de l’année par pays, le terme « écriture inclusive » apparaît dans le top des expressions les plus recherchées sur Google en 2021 en France, avec un total de 2 millions de recherches cumulées. Cela correspond à une augmentation de 180% par rapport à l’année 2020, avec plusieurs raisons pouvant l’expliquer.

 

Tout d’abord, cet intérêt est lié aux débats ayant eu lieu à l’Assemblée Nationale, avec notamment la proposition de loi déposée par François Jolivet visant à interdire et à pénaliser l’usage de l’écriture inclusive dans les administrations publiques et à l’école, jugée « trop élitiste et excluante pour les élèves en difficulté » selon l’ancien ministre de l’Education Nationale, Jean-Michel Blanquer. 

 

Une autre raison pour expliquer l’ampleur de ce phénomène peut également être l’entrée dans le dictionnaire Le Robert du mot « iel », contraction des pronoms personnels « il » et « elle ». 

 

Tout cela témoigne à la fois d’un manque d’information de la population à ce sujet, mais aussi, de manière plus positive, d’une curiosité grandissante et une envie d’en apprendre plus. En effet, si on s’intéresse maintenant aux 3 thèmes les plus recherchés par les internautes concernant l’écriture inclusive, on retrouve : 

  • En 1ère position, une envie de comprendre, avec des recherches comme « c’est quoi l’écriture inclusive ? »
  • Ensuite, une envie d’apprendre, de pratiquer, avec des recherches du type « règles et utilisation de l’écriture inclusive »
  • Et enfin, une volonté de s’informer, avec des recherches comme « qui utilise l’écriture inclusive ? »
Crédit photo : InteliSoft

Une volonté de représentativité et d’inclusion

Si l’on se reporte de nouveau à l’étude menée par Google en 2021, 58% des internautes qui ont déjà entendu parler de l’écriture inclusive se déclarent défavorables à l’utilisation de cette dernière. Mais, en s’intéressant plus en profondeur à cette étude, on s’aperçoit que ce n’est pas l’écriture inclusive en général qui leur déplaît, mais deux aspects spécifiques : le point médian, dont les multiples règles peuvent être difficiles à comprendre et ralentir la lecture, ainsi que les néologismes (comme « facteurice » par exemple, qui inclut à la fois le masculin et le féminin dans un seul mot). La majorité de ces mêmes internautes est cependant en grande partie favorable à la féminisation des noms de métiers et à l’utilisation de mots non-genrés (comme « la direction » au lieu des « directeurs » par exemple). 

 

Ainsi, cette étude montre que ce n’est pas le concept même d’écriture inclusive que la population rejette, comme on le pense souvent, mais seulement certaines méthodes particulières, et que le public est majoritairement favorable à l’utilisation de termes alternatifs au masculin générique. 

 

Cela témoigne donc d’une volonté globale de faire évoluer la langue française vers plus de représentativité et d’inclusion, de stopper la domination du masculin sur le féminin et de montrer aux enfants dès leur plus jeune âge qu’il n’y a pas de genre prépondérant. Julie Neveux, maîtresse de conférences en linguistique, affirme d’ailleurs dans une interview pour Le Figaro que « l’écriture inclusive est essentielle pour établir une égalité entre les hommes et les femmes. » 

Crédit photo : Le Figaro

Ecriture inclusive et modernisation des oeuvres culturelles et artistiques

Le désir d’une société prônant le vivre-ensemble et l’égalité entre chaque individu⸱e se démontre à travers le langage. On peut notamment le remarquer au niveau artistique. Si ce ne sont pas directement les auteur·e·s de propos jugés discriminatoires qui changent la nature de leur œuvre, l’évolution des mentalités implique que des modifications peuvent intervenir plus tardivement. À titre d’exemple, en 2022, des romans de Roald Dahl ont été modernisés afin de les rendre moins offensants au niveau du genre ou de l’apparence de certains personnages. Si certain·e·s dénoncent une certaine censure et défendent l’idée de la liberté d’expression, la maison d’édition Puffin Books, à l’origine de certains de ces changements, défend ces derniers pour que les enfants d’aujourd’hui « puissent continuer à lire en s’émerveillant ». La maison d’édition justifie alors ce choix controversé par une opportunité qu’ils offrent en adaptant ces récits à l’ère du temps afin de les démocratiser.

Se pose ainsi la question des œuvres anciennes comportant des termes aujourd’hui proscrits ou jugés offensants. Faut-il les laisser comme telles, car reflétant les pensées de la société d’alors, y ajouter un avertissement détaillant le changement d’utilisation de certains mots, modifier la nature de l’œuvre, au risque d’être accusé de réécriture historique, ou bien les bannir complètement ? On vous laisse juger par vous-même…

Crédit photo : The Guardian

L’écriture inclusive : tendance marketing ou réelle volonté d’inclusion ?

L’écriture inclusive représente une opportunité pour les marques, à la fois en termes de profits, mais également en termes de créativité. Aujourd’hui très peu présente sur les différentes affiches en tout genre, elle attire l’attention par sa singularité, constituant un souvenir publicitaire. Certaines marques comme Zalando ou Netflix ont d’ailleurs été saluées pour l’avoir utilisée dans leurs campagnes.

Mais il s’agit généralement d’une question de profit et l’écriture inclusive devient davantage un sujet d’efficacité publicitaire plutôt qu’un sujet éthique d’inclusion. 


Bien qu’à priori profitable aux marques, son utilisation dans les campagnes de communication présente également des risques. Parmi les exemples que l’on peut citer, on trouve notamment l’exemple de Cultura, qui, en 2020, avait utilisé l’écriture inclusive dans ses mails de finalisation de commande et avait à son insu provoqué un énorme bad buzz. Cela avait d’autant plus été accentué par la réponse de l’entreprise à un message sur les réseaux sociaux, enjoignant la personne qui s’en plaignait à ne plus consommer au sein de l’enseigne si cela lui posait problème. En effet, la campagne avait été très mal reçue par les client⸱e⸱s de l’enseigne ainsi que les internautes, selon lesquels la marque était censée représenter la langue française et le sérieux et non surfer sur la tendance. Mais alors, il est légitime de se demander si l’écriture inclusive est seulement une tendance passagère ou si c’est une réelle évolution communicative pérenne.

Campagne de communication de Netflix en écriture inclusive. Crédit photo : Netflix
Campagne de communication de Zalando en écriture inclusive. Crédit photo : Zalando

Un frein à l’amélioration de l’accessibilité aux personnes en situation de handicap ?

Plusieurs groupes et associations militent à l’heure actuelle contre l’écriture inclusive. C’est le cas par exemple de la Fédération des Aveugles de France, qui juge cette écriture « illisible, incompréhensible » et « proprement indéchiffrable par [les] lecteurs d’écrans », notamment pour les non-voyant·e·s et malvoyant·e·s mais aussi pour les personnes dyslexiques, ce système renforçant leurs difficultés de lecture. De même, selon l’ancienne secrétaire d’Etat au Handicap, Sophie Cluzel, l’écriture inclusive serait une « régression pour l’accessibilité universelle contraire à tous les efforts en Falc [Facile à lire et à comprendre]. » 

 

A l’inverse, certains groupes de handiféministes et d’associations de personnes en situation de handicap dénoncent une « récupération du handicap pour justifier des positions anti écriture inclusive », et donc un mouvement anti-égalité des sexes et droits des femmes par la même occasion. 

 

Mais finalement, le problème n’est peut être pas l’écriture inclusive en elle-même, qui, comme on l’a dit tout à l’heure ne se réduit d’ailleurs pas au point médian, mais probablement les logiciels de synthèse utilisés par les personnes en situation de handicap, qu’il faudrait mettre à jour et rendre plus puissants. Il faut changer de perspective sur ce débat et profiter de notre accès accru aux nouvelles technologies afin de participer à l’inclusion des minorités. Une autre option, selon les collectifs handiféministes, serait plutôt d’utiliser des traits d’union, jugés comme parfaitement lisibles contrairement au point médian.

 

D’un point de vue purement pratique, l’ONU a quant à elle récemment publié ses lignes directrices pour l’inclusion du handicap dans la langue, qui comporte quelques points fondamentaux parmi les suivants : 

  1. Mettre l’humain au centre, pas son handicap (préférez des termes comme “personnes en situation de handicap” plutôt que “les handicapés” par ex), en n’évoquant son handicap que lorsque cela apporte un éclairage ou des précisions utiles
  2. Eviter les étiquettes et les stéréotypes, plutôt offensants et réducteurs
  3. Ne pas utiliser d’euphémismes condescendants (“personne extraordinaire” par ex, qui sous-entend que la personne est différente)
  4. Utiliser des termes appropriés aux échanges de la vie courante (éviter les expressions du type “tomber dans l’oreille d’un sourd”)

Conclusion

L’écriture inclusive est au cœur de différents enjeux. Elle contribue notamment à l’égalité hommes-femmes, en essayant de mettre femmes et hommes sur un pied d’égalité au travers du langage. Cependant, la question de l’accessibilité des personnes en situation de handicap reste l’une des critiques majeures de ce style d’écriture, jugé trop excluant. Représentant 14% de la société française, les différents enjeux communicationnels étant destinés aux personnes en situation de handicap sont essentiels. C’est pourquoi nous y consacrerons une émission et un article complet le mois prochain, à l’occasion de la semaine européenne pour l’emploi des personnes handicapées.

Crédit photo : Le Petit Journal

Flavien BERT et Léa SIMONNET