Nous voici désormais au huitième épisode du Curious Live, l’émission créée par les étudiant·es du Master MASCI, sur le thème cette année du patrimoine en Bourgogne. Cette fois-ci, Etienne et Camille sont accompagné·es de Gabriela, Edith et Charline pour vous parler d’art vivant. À cette occasion, les étudiant·es ont eu l’opportunité de discuter avec Elodie Longueville, directrice du Bistrot de la Scène, qui leur a présenté sa vision du spectacle vivant.

L’art vivant, kesako ?

Le Ministère de la culture définit le spectacle vivant comme la co-présence d’actants (ceux qui donnent à voir et entendre) et d’un public ou de spectateurs. En cela, l’appellation art vivant regroupe en son sein une variété de formes d’expression artistique : danse, spectacle de rue, théâtre de marionnette, musique, live, opéra… Nous parlons aussi plus communément d’art du spectacle. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, l’art du spectacle est apparu à la fin du XXème siècle, dans les années 1990. L’objectif de cette nouvelle appellation était de rassembler différentes composantes artistiques, culturelles, économiques et sociologiques en un seul et même mot. En effet, le Ministère de la culture a créé en 1993 deux commissions : la commission pour le  “spectacle enregistré”, c’est-à-dire radio, cinéma, métiers de l’audiovisuel; et la commission pour le spectacle vivant (Commission Paritaire Nationale Emploi Formation Spectacle Vivant). Le terme spectacle vivant est alors utilisé pour les représentations théâtrales mais aussi utilisé pour désigner tout secteur artistique confondu réalisant des représentations en public.

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Il y a eu un avant et un après pandémie

La culture au plus bas

Nous vous parlons d’un temps… En ce temps-là, le Covid-19 n’existait pas, et le secteur culturel se portait à merveille. En 2019, la culture au sens large du terme (comprenant la musique, les arts visuels, le spectacle vivant, le livre, les jeux vidéo, la presse, l’architecture, la publicité, la radio et l’audiovisuel) représentait 4,4% du PIB européen, 7,6 millions d’emplois et avait un chiffre d’affaires estimé à 643 milliards d’euros (selon l’étude “Rebuilding Europe” du cabinet d’audit EY). Entre 2013 et 2019, le chiffre d’affaires des Industries Culturelles et Créatives (ICC) connaît notamment une augmentation prodigieuse de 93 milliards d’euros, soit une croissance de près de 17% sur la période, avec en tête de gondole les jeux vidéos, la publicité, l’architecture et la musique. La culture était donc l’un des secteurs les plus dynamiques en Europe et contribuait même positivement à la balance économique. Mais ça, c’était avant.

En 2020, la culture en Europe a perdu 31% de son chiffre d’affaires par rapport à 2019, cela correspond à une perte de près de 200 milliards d’euros. Un déficit colossal dû à la crise sanitaire, qui fait notamment de la culture le deuxième secteur le plus affecté, après l’aéronautique mais avant le tourisme. Si l’industrie des jeux vidéo a su tenir bon pendant la crise avec une croissance de 9%, tous les autres secteurs culturels ont été impactés, à commencer par le spectacle vivant (-90%) et la musique (-76%).

 

Le spectacle vivant, une descente aux enfers

Le secteur de l’art vivant a donc subi une chute vertigineuse, la faute à une pandémie qui a stoppé net une croissance régulière depuis plusieurs années : le chiffre d’affaires (en Europe) connaissait une augmentation de 24% entre 2013 et 2019, pour passer de 33 à 41 milliards d’euros, ce qui correspond à une croissance de 2,9% par an. Tous les feux étaient au vert dans un secteur en confiance, avec notamment plus d’un million de personnes employées dans le spectacle vivant (7,6 millions au total dans le secteur culturel).

En France, les arts de la scène n’étaient pas en reste, puisque ceux-ci occupaient une place prépondérante dans le domaine de la culture. Voici quelques chiffres tirés d’une étude du Ministère de la culture de 2019 :

  • Le spectacle vivant représentait 15,4% du poids de l’économie culturelle (plus que la presse et l’édition), soit 7,6 milliards d’euros sur les 49,3 milliards qu’a rapporté le milieu de la culture.
  • Les arts vivants employaient environ 106 640 personnes, soit plus que tous les autres domaines culturels. Cela représentait 15% de l’ensemble de ces secteurs, avec plus de 20 000 entreprises existantes.
  • Il y a peu de gros acteurs du secteur, mais ceux-ci dominent le marché : en 2019, 6% des représentations constituent 49% des entrées.
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S’il est vrai que le théâtre est alors le lieu de prédilection des artistes du secteur, que ce soit dans la rue, dans une salle ou sous un chapiteau, les festivals et autres événements nationaux ont permis de générer un certain dynamisme et de faire s’épanouir les acteurs du spectacle vivant. Ainsi, chaque année en moyenne étaient organisés près de 1800 festivals de musique, d’arts de rue, de cirque, de théâtre ou encore de marionnettes.

Comment le secteur a rebondi

Comment continuer de produire des spectacles vivants dans un monde en crise ?

La fermeture des salles des arts de la scène a non seulement rendu impossibles les performances publiques mais aussi les répétitions. À partir du mois de mars 2020, la plupart des institutions culturelles ont fermé leurs portes indéfiniment ou réduit drastiquement leurs services. Dans les musées, les studios ou encore sur les scènes, tout le monde a dû revoir ses stratégies et plannings.

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Les divers établissements ont dû coûte que coûte essayer de maintenir le lien avec les spectateurs. Cela s’est traduit par des “livraisons” de spectacles à domicile, adaptations de pièces de théâtres à l’extérieur, représentations numériques et interactives… Dans un contexte de paralysie du monde de la culture, depuis plus d’un an, des artistes sont parvenus à surmonter les obstacles en montant des projets, et ainsi créer un nouveau rapport avec les spectateurs.

La pandémie a donc encouragé certaines institutions à se tourner vers la communication numérique et la digitalisation de la culture pour faire face à la baisse des visites et l’annulation des représentations.

C’est ainsi que plusieurs établissements ont commencé à documenter leurs spectacles pour les intégrer sur leurs sites et à mettre en place “la documentation de l’art numérique” comme le dit Gilles Alvarez, directeur artistique de Némo, dans le mooc digital Paris sur le spectacle vivant.

Bien évidemment, la communication numérique et la digitalisation dans chaque institution a changé selon le type d’art vivant en question.

Par exemple, pour Farid Zerzour, directeur d’une troupe de théâtre, acteur, auteur et metteur en scène à Colombes, les “captations-diffusions” se rapportant au fait de filmer des oeuvres d’art vivant ont été une option largement utilisée pour partager différents spectacles ou représentations lors des confinements et de la mise en place des mesures sanitaires.

Cependant, quelques autres artistes comme Anne-Charlotte Lesquibe, chargée de production et de diffusion, considèrent que la digitalisation de l’art vivant ne peut pas exister parce que ce type d’art nécessite la mise en scène des artistes. Le public n’est pas présent dans la même salle avec les acteurs mais regarde l’œuvre à travers un écran.

D’autres arts vivants, comme les fashion shows, se sont également tournés vers la digitalisation et la communication numérique lors de la crise du Covid-19. Un exemple est l’une des propositions les plus virales de 2020 : la marque afro-américaine Hanifa qui s’est servi de moyens technologiques pour imaginer un défilé numérique qui s’abstrait des corps. Elle a ainsi tout modélisé en 3D et a proposé des vêtements qui s’animent et bougent comme s’ils étaient portés par un corps absent. C’est donc grâce à la crise du Covid-19 ayant favorisé la montée d’initiatives dans le digital que cet art a pu devenir vivant !

Si bien faire de l’art numérique a fonctionné pour plusieurs institutions et artistes lors de la pandémie, d’autres ont décidé de se réinventer et d’adapter leur art. Dans le cas de la danse et du théâtre, Boriz Charmatz et Farid Zerzour ont continué de mettre en scène sur les espaces publics plusieurs de leurs œuvres. Pendant le premier et le deuxième confinement, ils pratiquaient en toute clandestinité ou en possession d’attestations afin de s’adapter au mieux et de pouvoir continuer à diffuser leurs pièces dans les rues, les places ou les parcs.

Le numérique et l’art vivant peuvent-ils cohabiter ?

Il a été démontré au cours de ces dernières années que le numérique a commencé à s’accaparer une place qu’il n’avait pas jusqu’alors dans les secteurs de l’art vivant au cours de la crise sanitaire du Covid-19.

De nombreux spectacles ont été diffusés sur Internet et sur les réseaux sociaux au cours de la pandémie. Il en est tel que la question de savoir si le numérique finira par remplacer l’expérience physique des spectacles vivants peut se poser.

S’il est certain que la crise sanitaire et les confinements ont encore plus marqué les changements de consommation du public, le numérique a réellement commencé à faire son œuvre dans le secteur de l’art vivant avant le début de la pandémie.

Tout a commencé avec l’évolution des moyens de communication utilisés par les institutions culturelles pour promouvoir leur programme et s’adapter aux nouvelles pratiques des spectateurs, utilisant par exemple de plus en plus leur smartphone pour réserver des billets de spectacle en ligne à la dernière minute.

En effet, en matière de communication, les avantages offerts par le marketing digital en termes d’optimisation des relations avec les publics ont bel et bien été intégrés par les établissements culturels. Les institutions du spectacle vivant sont aujourd’hui presque toutes digitalisées. Presque toutes possèdent un site internet et une billetterie en ligne. L’e-mailing et les newsletters ainsi que Facebook et Instagram constituent des canaux privilégiés pour atteindre le public plus facilement. Le nombre d’envois de programmes par voie postale semble quant à lui subir une très nette baisse.

Cependant, si l’on se fie aux données récoltées dans différents établissements culturels par le Laboratoire Théâtre & Médiations Numériques (TMNlab), les institutions des arts vivants pourraient prendre davantage d’initiatives pour promouvoir leurs spectacles.

Podcasts, vidéos longues, articles de blog ou magazines web, moocs, tutoriels, ateliers et médiations ludiques sont des approches encore peu explorées par les institutions du théâtre”, remarque l’institution.

Il faudra que les institutions du spectacle vivant surmontent leur scepticisme vis-à-vis du numérique pour se rendre compte que ce dernier peut cohabiter avec l’art vivant sans le faire disparaître afin de, au contraire, lui donner un petit coup de pouce. D’après une enquête menée en mai 2020 par la société Sendethic et le média en ligne Toute la Culture, 55% des répondants producteurs, artistes ou encore représentants d’institutions culturelles estimaient ne pas être encore tout à fait convaincus mais considéraient le virage vers le numérique comme « un mal nécessaire » pour conserver le lien avec le public et cela notamment pendant la pandémie du Covid-19. Enfin, 77% d’entre eux concluaient être « curieux de l’avenir » et 65% des répondants disaient voir dans la digitalisation de leur institution et de leurs pratiques, « une opportunité pour rencontrer de nouveaux publics ».

Ces dernières observations sont également partagées par Élodie Longueville, directrice du Bistrot de la Scène à Dijon, puisqu’elle nous a partagé en interview :

"Si on avait à chaque fois un trailer vidéo de ce qui se passait, c’est cela qui donnerait le plus envie aux gens : les vidéos c’est beaucoup plus parlant qu’une photo. Je trouve que c’est vraiment complémentaire et je ne crois pas qu’il faille qu’on soit inquiet du tsunami digital".
Elodie Longueville
Directrice du Bistrot de la Scène

Focus sur la Bourgogne : un territoire d’art vivant

Le Bistrot de la Scène à Dijon

Les étudiants sont allés à la rencontre d’Elodie Longeville, directrice du Bistrot de la Scène à Dijon, et ont pu découvrir l’envers du décor de cet établissement Bourguignon.

Cette salle de spectacle a été créée il y a 36 ans par François Merilleau qui avait comme vocation de créer du lien entre artistes et public et de faire du Bistrot de la Scène un véritable lieu de partage. En 2020, celui-ci cède sa place et c’est Aurélien Chevalier qui est désormais à la tête de l’association.

Avec un projet culturel assez précis, le Bistrot de la Scène est essentiellement une salle de diffusion, avec plus de 200 spectacles par saison et 100 compagnies représentées.

Le Bistrot de la scène propose des spectacles pour les très jeunes enfants (à partir de 6 mois) mais également d’autres plus adaptés aux adolescents ou encore aux adultes.

“Notre cœur de projet est vraiment de mettre à l’honneur les artistes de Bourgogne Franche Comté de toutes disciplines confondues.”
Elodie Longueville
Directrice du Bistrot de la Scène
Le bistrot de la scène
Crédit photo : Le Bistrot de la Scène

Des nouveautés au programme

Même si l’établissement poursuit le projet de François Merillot, il y a tout de même quelques nouveautés depuis sa réouverture. C’est notamment le cas des brunchs (un dimanche par mois), des jeudis blues, ou encore des bistrot party. Des partenariats sont également créés avec des acteurs culturels locaux tels que la Vapeur par exemple.

La pandémie, un tournant pour cette salle de spectacle

Le Bistrot de la Scène n’aura pas échappé à la crise mondiale du COVID-19 qui n’a pas épargné les lieux culturels. Fermé pendant près d’un an, les équipes en ont profité pour rénover et améliorer les lieux mais aussi retravailler l’identité visuelle et graphique du Bistrot de la Scène. De quoi marquer le changement d’équipe mais aussi relancer au mieux la saison culturelle et accueillir un nouveau public.

Une stratégie de communication adaptée au public

Au Bistrot de la Scène, le public est aussi diversifié que le programme. Il n’est donc pas possible de s’axer uniquement sur une stratégie linéaire. La communication s’effectue donc sous format papier avec des programmes mais aussi de l’affichage. Sans oublier bien entendu toute la partie digitale avec une communication active sur les réseaux sociaux.

“La communication dans un lieu comme le nôtre reflète l’identité du lieu, c’est ce qui va donner envie au spectateur de venir, c’est donc un aspect non négligeable.”
Elodie Longueville
Directrice du Bistrot de la Scène

Le festival de théâtre de rue de Chalon-sur-Saône

Chalon dans la rue s’est imposé depuis sa création en 1987 comme le 2ème plus grand festival de théâtre et spectacle de rue gratuit (pour la plupart des représentations) en France. Né à la fin des années 80 de l’initiative du maire de la ville, Dominique Perben, Chalon dans la rue est devenu le festival incontournable de l’été en Bourgogne.

Organisé chaque année par l’Abattoir et le Centre National des Arts de la Rue, cet événement accueille entre 200 000 et 220 000 spectateurs durant les quatre jours du festival et compte environ une centaine de compagnies à son effectif.

Crédit photo : Ville de Chalon-Sur-Saône

Épargné par le tsunami de la Covid-19 ?

Comme bien d’autres institutions du monde de l’art vivant, Chalon dans la rue n’a pas été épargné. Supprimé en 2020, puis réhabilité en 2021 à quelques conditions (port du masque, restrictions et mesures sanitaires, pass vaccinal), les habitués du festival vont pouvoir retrouver cet été leur festival, comme l’a précisé l’équipe en charge de l’organisation de celui-ci.

Chalon dans la rue 2022

La 35ème édition du festival sera sous le thème du changement. Cette année, Chalon dans la rue mettra l’accent sur la thématique de la transition, “construite sur l’héritage artistique de ces 4 dernières années”, a annoncé l’équipe directrice sur le site web. Il se déroulera du 20 au 24 juillet 2022, et compte parmi sa programmation des spectacles à la croisée de toutes les disciplines artistiques : théâtre, cirque, danse, spectacles musicaux marionnettes, installations, arts plastiques et arts numériques.

Pour aller plus loin :

Bistrot de la Scène : https://www.bistrotdelascene.fr/

Ouvert du lundi au samedi de 09h à 17h (19h le samedi) – 203 rue d’auxonne, 21000 Dijon

Prochain spectacle : Duchesse – La toute petite Cie (du 26 au 29 Avril de 10h à 15h)

Chalon dans la rue : https://www.chalondanslarue.com/

Contacts : Centre National des Arts de la Rue et de l’Espace Public – 52 quai Saint-Cosme, 71000 Chalon-sur-Saône

Prochaine édition : 35ème édition : du 20 au 24 juillet 2022