Être normal pour ne pas être mainstream

Aujourd’hui, les sex-tapes sont des arguments pour relancer des artistes en déclin, nos idoles punks mangent bio et nos papy-rocks ont arrêté la coke.
Où est passée la subversion ? Cet art de “saper les valeurs et les institutions établies” (cf. : Petit Larousse).

Frédéric Martel, dans son livre Mainstream, affirme une autorité culturelle de l’Amérique sur le monde, en proie, certes, à être bouleversée par les pays émergents, mais qui conserve son ascendant culturel sur les pays développés (d’Europe notamment).
Il souligne également notre incompétence (nous, Européens) à produire du contenu culturel et artistique pour grand public. L’auteur note d’ailleurs qu’ aucun pays n’arrive à produire un contenu défiant l’hégémonie américaine sur le vieux continent comme peut le faire le Brésil en Amérique du Sud grâce aux telenovelas ou la Corée du Sud en Asie avec la K-Pop.
Et la mort en 2008 de Horst Tappert, qui jouait le rôle de l’inspecteur Derrick, ne peut que nous effrayer d’autant plus sur l’avenir d’un produit culturel généralisé en Europe. Plus sérieusement, l’Allemagne et ses feuilletons venus du fond des âges était malheureusement le seul espoir d’une opposition majeure face à l’Empire.

 


Dans ce cas, faire des productions culturelles américaines ses préférées (Lana del Rey, David Lynch, Apple, les bagels, …) devient une normalité que les contre-cultures devraient fuir. Et aduler les produits industriels du passé (faux-tourne-disques pour iPod, vieux combinés de téléphones pour iPhone, filtres-façon-Polaroid pour appareils photos numériques, …) ne va pas non plus aider à l’innovation.

Les contre-cultures ont originellement un rôle d’innovation culturelle et de subversion. C’est pourtant tout le contraire de ce que fait la contre-culture actuelle, portée par le mouvement hipster. Cette classe de la population, à laquelle tout le monde se défend d’appartenir, joue les contre-cultures en adoptant néanmoins tous les codes du mainstream. En inondant le marché de produits inutiles mais tellement consommés, ils ont gommé toutes les frontières culturelles en nous plongeant dans un flou mercatique.

Certes, quelques artistes brillants avaient participé à l’artification de produits standardisés : de l’urinoir de Duchamp aux boîtes de conserve de Warhol en passant par Magritte et sa pipe qui n’en était pas une. Mais c’est avec moins de brio et surtout plus de contradictions que les nouveaux fers de lance de l’innovation culturelle deviennent les idiots utiles du capitalisme qu’ils méprisent par ailleurs.

Tableau “Campbell’s Soup Cans” de Warhol


Frédéric Martel apporte également une réflexion sur la notion d’indépendance dans le cinéma hollywoodien qui alourdit un peu plus le constat de la subversion actuelle. Selon lui, l’indépendance aujourd’hui est seulement “esthétique” puisqu’elle est erronée. À savoir que les réalisateurs “indés” ont tous un contrat avec de grands studios de production et qu’il ne leur reste plus “d’indé” que l’appellation et dans le meilleur des cas, quelques scènes de sexe ou d’hémoglobine pour se rappeler à leur premier public.

À l’instar de Tarantino qui est bien loin de ses débuts de petit d’Hollywood et qui, lorsqu’il fait jaillir du sang (autant qu’avant, voire plus, il faut le reconnaître), le fait à renfort de millions dans des productions beaucoup plus léchées mais où les marques ont leur place et où tout est contrôlé par des grandes maisons de production. Django Unchained, le dernier opus du talentueux Quentin était produit par la Weinstein Company et par Columbia Pictures par exemple.

C’est ainsi également que la très indépendante Sofia Coppola nous gratifie de l’anachronisme le plus célèbre de ces dix dernières années cinématographiques avec des Converse dans la garde-robe de Marie-Antoinette ou arrive à nous vanter Guitar Hero comme vecteur de lien père/fille dans Somewhere.

Scène du film Somewhere


Qui donc pour sauver la subversion et s’ériger en contre-culture innovante ?

Il faudra attendre le retour d’une vraie et forte contre-culture. Le retour des punks, pourquoi pas ? Pas ceux qui s’habillent à prix d’or à Camden Town en écoutant Tokio Hotel. Non, on veut des vrais punks, des qui puent, des qui boivent et des qui pissent sur les trottoirs.

Une contre-culture capable de ne pas alimenter le mainstream mais plutôt de s’en détacher, de le maudire et de produire de l’anticonformisme.

Et alors, enfin, la publicité pourra s’emparer de cette néo-tendance et de ses codes pour vendre des disques et des balais.

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